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Mearsheimer / Walt

Stephen Walt

Le Lobby israélien et la politique étrangère des Etats-Unis de John Mearsheimer et Stephen Walt

Un mois après sa publication, le désormais célèbre article de John Mearsheimer et Stephen Walt continue d'alimenter la polémique dans le monde entier et notamment aux Etats-Unis. Pas un éditorialiste américain qui n'ait pris position ces dernières semaines, du Los Angeles Times au Washington Post en passant par le New York Times ou The New Republic, le plus souvent pour condamner l'essai de façon méprisante et accuser les deux auteurs d'antisémitisme quant ce n'est pas de "démence". Certains vont même jusqu'à parler d'un nouveau "Protocole des sages de Sion", en référence au célèbre faux antisémite. Les réponses ne portent généralement pas sur les questions soulevées par l'article mais sur les "intentions" des auteurs. Le ton est globalement celui donné par Eliot Cohen dans le Washington Post: "Si, par antisémitisme, on entend des croyances hostiles irrationnelles et obsessionnelles sur les Juifs; si on les accuse de manque de loyauté, de subversion et de trahison, d'avoir des pouvoirs occultes et de participer à des tractations secrètes pour manipuler les institutions et les autorités gouvernementales; si quelqu'un liste systématiquement tout ce qu'il y a d'injuste, de laid et de faux chez les Juifs pris individuellement ou collectivement et en même temps exclut systématiquement toute information à leur décharge, alors oui, cet article est antisémite". L'institution universitaire qui héberge les deux malfaisants est également passé sur le grill et fait l'objet de critiques virulentes comme entre autres celle du Boston Herald qui titre: "Paranoïa antisémite à Harvard". Même Mary-Kay Wilmers, sage responsable de la London Review of Books qui a publié le texte des deux chercheurs, fait l'objet d'injures et de menaces pour avoir osé sortir l'article dans sa revue.
Tout a commencé le 23 mars par la publication, dans cette vénérable revue littéraire et intellectuelle britannique lue par l'intelligentsia libérale éclairée, d'une version condensée d'un essai de 80 pages rédigé par deux éminents professeurs américains: John Mearsheimer, professeur émérite de Sciences Politiques à l'université de Chicago (auteur entre autres de The Tragedy of Great Power Politics) et Stephen Walt, directeur des études et professeur émérite de Relations internationales à la Kennedy School of Government d'Harvard (auteur lui d'un récent Taming American Power: The Global Response to US Primacy).
Leur article commun, prévu pour être publié par la revue américaine Atlantic Monthly qui l'avait commandé en 2002 mais l'a finalement refusé, a d'abord été publié début mars sur le site web de la Fac de Droit d'Harvard avant d'être repris en version abrégée par la LRB et de provoquer ce tollé international. Ils y mettent au grand jour un sujet profondément tabou, celui de l'influence majeure des groupes de pression israéliens -- représentés notamment par le puissant America Israel Public Affairs Committee (AIPAC) et quelques autres organisations juives -- sur la politique étrangère américaine dans les pays arabes, au Proche-Orient et en particulier en Palestine. Ils démontrent notamment qu'Israël a été le pays au monde qui a le plus bénéficié de l'aide économique, militaire et diplomatique américaine depuis la seconde guerre mondiale. L'État hébreu a systématiquement et largement été favorisé, soutenu et défendu, même sur des questions sensibles comme par exemple la possession de l'arme nucléaire, la colonisation des territoires palestiniens ou la violation des Droits de l'Homme. Plus radicalement, ils affirment entre autres que George W. Bush est entré en guerre contre l'Irak de Saddam Hussein à la demande d'Ariel Sharon et de ses affidés au Pentagone tels Paul Wolfowitz, même si ce n'est pas l'unique facteur, et qu'Al-Qaïda est à l'origine une émanation conjointe des services secrets israélo-américains. Enfin les deux chercheurs n'hésitent pas à dénoncer pour leur partialité en faveur d'Israël les grands médias, qu'ils soient journaux ou télévisions de tous bords politiques, ainsi que les cercles de réflexion influents comme entre autres la Brooking Institution, rappelant au passage que leur essai a été refusé par plusieurs revues américaines avant qu'en désepoir de cause ils le soumettent à la LRB anglaise.
Selon eux le soutien indéfectible et irraisonné des États-Unis à l'Etat hébreu, qui va jusqu'à compromettre la sécurité des pays occidentaux, est dangereux, politiquement contre-productif, et stratégiquement néfaste tout autant à l'intérêt national américain qu'à celui d'Israël et à la paix dans le monde. S'il n'en allait de la sacro-sainte sécurité de la Jérusalem juive, l'Amérique ne serait aujourd'hui pas autant exposée aux menaces terroristes venant de Syrie, d'Irak ou d'Iran. De plus Israël n'est ni loyal ni véritablement reconnaissant à Washington pour sa protection zélée, les services secrets sionistes n'hésitant pas à espionner, tromper et trahir régulièrement l'Oncle Sam. Adoptant un point de vue résolument réaliste ils estiment qu'Israël est donc plus un "fardeau" qu'un atout stratégique pour l'Amérique.
Il s'agit là d'une thèse sur la diplomatie américaine qui ne présente guère d'éléments nouveaux pour les spécialistes mais la vague de réactions indignées et de commentaires hostiles et haineux qu'elle suscite dans les médias, sans parler des "punitions" -- Stephen Walt a par exemple été "démissionné" de son poste de doyen sous la pression des donateurs pro-israéliens d'Harvard --, tient sans doute au fait qu'il ne s'agit pas d'un simple essai ou pamphlet politique anti-israélien comme il peut s'en publier en Europe, mais d'une très sérieuse étude documentée et argumentée rédigée par des intellectuels américains réputés et de plus responsables d'études sur ces questions dans des universités prestigieuses. En brisant le tabou au sujet de l'alliance israélo-américaine les deux auteurs risquent à coup sûr en même temps de voir briser leur carrière et leur réputation par les groupes de pression pro-israéliens qu'ils dénoncent.
Les deux intellectuels et leurs partisans -- à leurs risques et périls, il en existe quelques-uns malgré tout -- déplorent l'impossibilité d'ouvrir un débat sérieux pourtant légitime sur les relations israélo-américaines sans se voir systématiquement affublé des casquettes d'antisémite ou de juif renégat.

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jeudi 20 avril 2006