Friedrich Dedekind

Biographie Thomas De Quincey
Thomas De Quincey
De l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts

Éditions de La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0195-4
Prix : 5 euros
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Friedrich Dedekind

Alors qu'il était encore étudiant à Marburg, le jeune théologien allemand Friedrich Dedekind (1524-1598) composa en 1549 un poème en latin qui connût un succès phénoménal, le Grobianus, De la simplicité des moeurs. Grobianus est le nom de son personnage principal, tiré de La Nef des Fous de Sebastian Brant (1458-1521). Dans la veine non-conformiste des Erasme et Rabelais de l'époque, l'ouvrage marqua tant les esprits qu'il lança une vogue, dite du "Grobianisme", dans toute une partie de l'Europe de la Renaissance, notamment en Allemagne où l'on peut encore en trouver quelques traces dans les traditions folkloriques et où "Grob" veut dire "grossier".

Qu'est-ce que le grobianisme? C'est une attitude anticonformiste composée de très mauvaises manières, d'incivilités et de grossièretés. Il s'agit d'être affreux, sale et méchant. Ne respectez rien, tenez vous mal à table, n'hésitez pas à péter, à roter et à lancer des obscénités en toute occasion. Socialement, soyez vicieux et complaisez-vous dans la paresse, l'impertinence, l'impolitesse, l'hypocrisie et toutes les formes de bassesse humaine. Surtout, soyez mufles et goujats envers les dames.

De cette façon quelque peu excessive de vivre en société, Karl Marx écrira plus tard (in Deutsche-Brüsscier-Zeitung, 28 octobre 1847): "Plat. Boursouflé. Fanfaronnant. Thrasonique. Prétentieusement vulgaire dans l'attaque. Hystériquement sensible à la grossièreté des autres. Brandissant très haut son épée en un monstrueux gaspillage d'énergie pour la laisser retomber dans le vide. Prêchant sans cesse la moralité et sans cesse l'offensant. Entrelaçant dans une même maille absurde le déclamatoire et le banal. Tout à son affaire, mais sans rien en faire. (...) Contaminé sans même s'en rendre compte par les disputes les plus abstruses du XVIe siècle et par son engouement fiévreux pour le corps. Fasciné par des notions dogmatiques et étriquées, en même temps qu'il en appelle a une action mesquine contre toute forme de pensée. Fulminant contre la réaction, réagissant contre le progrès. Incapable de faire rire de l'adversaire, risible quand il le morigène sur tous les tons. Salomon et Marcolphe, Don Quichotte et Sancho Pança, exalté et philistin pour le même prix. Forme rustre de la révolte, forme d'une rustrerie révoltée. Et flottant pardessus le tout, la bonne conscience sincère du brave bourgeois content de luimême, en guise d'ambiance: c'était cela, le grobianisme."

Au sommaire de ce drôlatique et cocasse traité de savoir-vivre qui devrait ravir les ados, le lecteur trouvera entre autres des chapitres consacrés à la rustrerie, à l'impudeur, à la dépravation, à la gloutonnerie, au gâchage de soirée, sans oublier pour ces dames la spéciale Grobiana. Un peu comme pour les romans de Rabelais, on ne sait pas vraiment si l'ouvrage -- écrit par un futur pasteur et traducteur du Catéchisme de Luther -- se voulait à l'origine un traité moral dont la folle ironie fût mal comprise ou s'il s'agissait d'une oeuvre satirique composée en réaction à la dictature de la "vertu" et du "politiquement correct" du XVIe siècle. Quoiqu'il en soit, Le Grobianus, présenté et traduit aujourd'hui pour la première fois en français, comble un petit vide dans nos lettres, si ce n'est dans nos moeurs contemporaines si urbaines et policées.

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, lundi 10 avril 2006. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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