Jacques Chardonne

Jacques Chardonne -- pseudonyme de Georges, Jean-Jacques Boutelleau -- est né le 2 janvier 1884 à Barbézieux Saint-Hilaire, dans une famille de la prospère bourgeoisie viticole de Charente. Il associera en 1938, dans un de ses titres, le nom de sa ville natale et le mot de bonheur, Barbézieux demeurant pour lui un havre débordant de souvenirs d'enfance.

Après le baccalauréat, il étudie le droit et les sciences politiques à Paris. Au service militaire, il contracte la tuberculose et doit séjourner en Suisse, où il retournera souvent tout au long de sa vie, en particulier durant les deux guerres mondiales. C'est d'ailleurs à sa ville de résidence helvétique, Chardonne, qu'il empruntera son nom de plume.

De retour en France, il travaille chez Stock, maison d'édition dont il est co-propriétaire. Il se marie en 1910, mais le couple ne tarde pas à se séparer. Ce n'est cependant pas cet échec conjugal qui explique que l'analyse des rapports entre la femme et l'homme dans le mariage soit devenu le thème central, voire unique, de l'oeuvre du romancier. Toute la pensée et le ton de Jacques Chardonne sont déjà présents, en effet, dans une courte narration, Catherine, écrite au cours de sa vingtième année et publié en 1964.

La carrière littéraire officielle de Jacques Chardonne commence assez tard: il a trente-sept ans lorsqu'il publie son premier roman, L'Épithalame (1921), écrit en Suisse pendant la Grande Guerre. Le succès est immédiat et le livre reçoit le Prix Femina. Le personnage central, Berthe, est une délicate jeune fille, qui ne vit que pour le mariage: si elle remarque Albert, elle en est d'abord toute effrayée. Les deux jeunes gens ne tardent pourtant pas à se marier. Après les quelques doutes et émois qui accompagnent nécessairement le passage de l'état de jeune fille à celui de femme, le couple se stabilise et s'installe dans le bonheur. L'auteur s'en tient à l'analyse psychologique et semble exclure la possibilité même d'une intrigue ou d'un travail sur le style ou la composition.

Les romans suivants vont prolonger cette thématique, le ton se nuançant parfois de tragique. Le Chant du bienheureux (1927) propose ainsi le roman du divorce. Les Varais (1929), où une histoire d'héritage se mêle à l'intrigue amoureuse, constitue peut-être le seul roman de Chardonne où l'action dramatique occupe une place privilégiée. Les romans courts qui suivent, Éva ou le journal interrompu (1930) et Claire (1931), semblent éloignés de toute préoccupation de renouvellement, mais restent toujours aussi superbement écrits.

Jacques Chardonne n'a connu qu'un seul échec littéraire: Les Destinées sentimentales (1934-1936). Non que l'oeuvre soit sans intérêt, mais, en cherchant à écrire son roman-fleuve, l'écrivain obéit plus à l'air du temps qu'à l'exigence d'une intrigue: les trois volumes de ce cycle court -- La Femme de Jean Barnery (1934); Pauline (1935); Porcelaine de Limoges (1936) -- n'en ont guère, même si la thématique amoureuse présente une toile de fond un peu différente du simple décor bourgeois: une entreprise en péril.

Dans Romanesques (1938), peut-être le chef-d'oeuvre de Jacques Chardonne, le ton est légèrement plus amer. L'auteur y étudie la place de l'imaginaire dans l'amour (c'était aussi le thème d'Éva) et l'impossibilité de communiquer vraiment avec l'autre alors qu'on l'aime, parce qu'on l'aime. Si Octave et Armande ne sont pas très différents de Berthe et Albert dans L'Épithalame, la question est abordée ici du point de vue de l'homme.

À l'exception de Chimériques (1948), la Seconde Guerre mondiale met un terme à la production littéraire de Jacques Chardonne. Il doit pendant un temps s'éloigner de la scène éditoriale. Quelques publications du début de la guerre, comme Voir la figure ou Chroniques privées de l'an quarante (1941), attestant une certaine compromission avec le régime de Vichy, il est emprisonné pendant quelques mois à la Libération.

Il revient alors à un genre auquel il s'était déjà essayé avant la guerre, dans L'Amour du prochain (1932) et le célèbre Bonheur de Barbézieux (1938), celui de l'essai librement composé autour d'un thème moral, ou plutôt du "propos" sous des formes variées: Vivre à Madère (1953), Lettres à Roger Nimier (1954), Matinales (1956), Le Ciel dans la fenêtre (1959), Demi-jour (1964), Femmes (1966), Propos comme ça (1966). En 1957, il complète un recueil de pensées publié en 1937: L'Amour c'est beaucoup plus que l'amour.

La cohérence de l'oeuvre de Jacques Chardonne se reflète dans les trois cercles concentriques où elle a développé son influence: les amis, intimes et fidèles (Jacques Delamain, l'autre co-propriétaire des éditions Stock, et sa femme Germaine; Henri Fauconnier, l'ami d'enfance, et sa femme Geneviève, tous deux romanciers); le groupe de la Nrf (Jacques Rivière, André Gide, Valery Larbaud,...), au sein duquel il contribue, dans les années '30, à faire revivre l'idéal classique; enfin, les "Hussards" et romanciers de la droite "buissonnière" de la génération des années '50 (Michel Déon, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent, etc) qui se réclameront de lui.

Jacques Chardonne est mort à La Frette (Val d'Oise) le 30 mai 1968, à l'âge de 84 ans.

Copyright © Gilles Philippe / republique-des-lettres.fr, Paris, lundi 8 août 2016. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
Newsletter / Entrez votre adresse e-mail:    

Facebook Facebook   Newsletter Lettre d'info   Twitter Twitter