Bernard-Henri Lévy

Une imposture française, tel est le titre du livre-enquête consacré à Bernard-Henri Lévy par Nicolas Beau et Olivier Toscer, respectivement journaliste au Canard Enchaîné et au Nouvel Observateur. Une biographie intellectuelle, une enquête fouillée, une charge féroce, certes, mais avant tout au final un document riche et original sur le philosophe à la chemise blanche qui -- retour du refoulé ou recherche de boucs émissaires ? -- fait aujourd'hui en France l'objet d'un très fort rejet.

C'est le quatrième ouvrage biographique consacré en moins d'un an au personnage, après BHL une biographie de Philippe Cohen (Fayard), Le B.A.BA du BHL de Jade Lindgaard et Xavier de la Porte (La Découverte) et Bernard-Henri Lévy, une vie de Philippe Boggio (La Table Ronde), ce dernier étant le seul des quatres à être autorisé, si ce n'est encouragé, par l'auteur des Aventures de la Liberté. Le lecteur souhaitant aller plus loin lira également le livre de François Aubral et Xavier Delcourt intitulé Contre la nouvelle philosophie (Gallimard, 1977), ainsi que celui de Dominique Lecourt, Les piètres penseurs (Flammarion, 1999).

Bernard-Henri Lévy, Une imposture française est un livre-enquête qui met enfin au jour, après plusieurs décennies de fonctionnement secret, la machinerie cachée en coulisses dont tout le monde entendait le vague bruit derrière la scène médiatique française mais que personne n'osait jusque là aller regarder de près. Composé en trois parties, "Les réseaux", "Les affaires", "Les idées", le document montre les dessous d'une vaste escroquerie intellectuelle construite par les médias, preuves à l'appui et anecdotes croustillantes en sus. Tout le "système" de la figure centrale de l'intellectuel médiatique français de la fin du XXe siècle (c'est désormais daté) est démonté, des gros pistons de la télé aux petits boulons des magazines en passant par les nombreux circuits branchés directement sur les pouvoirs de diverses communautés financière, politique ou religieuse influentes. Il révèle au passage tout ce dont le milieu de l'édition et de la presse parisienne "de référence" est capable en matière de manipulation, de corruption, de compromission, d'auto-censure et de tromperie du public sur la marchandise.

C'est là peut-être, plus encore que sur la vie même de Bernard-Henri Lévy, que réside l'intérêt du livre de Nicolas Beau et Olivier Toscer: dans le dévoilement en filigrane de la bassesse dont lui et ses puissants amis sont entourés et dans l'étonnante capacité de soummission et de reptation servile d'innombrables affidés venus de tous les coins de la société. Quelques noms, parmi beaucoup d'autres, pour marquer l'étendue du réseau d'amis plus ou moins obligés et peu avares de renvois d'ascenceurs lorsqu'il s'agit de défendre l'oeuvre du grand homme aux multiples casquettes (pour mémoire: écrivain, philosophe, éditeur, journaliste, homme d'affaires, cinéaste, acteur, dramaturge,...), ou pour promouvoir à la moinde occasion les ouvrages du richissime germanopratin qui dépense plus de 2.000 euros par mois uniquement pour les communications téléphoniques sur son portable: François Pinault, Luc Ferry, Thierry Ardisson, Josyane Savigneau, Edwy Plenel, Franz-Olivier Giesbert, Denis Jeambar, Serge Dassault, Bernard Pivot, Olivier Orban, Nicolas Sarkozy, Jack Lang, Stéphane Bern, Alain Minc, Arnaud Lagardère, Claude Bébéar, Jean-François Kahn, Alexandre Adler, Georges-Marc Benamou, Jean-Pierre Elkabbach, Marek Halter, Yvan Levaï, Laure Adler, Patrick Poivre-d'Arvor, Philippe Douste Blazy, Michel Drucker, Alain Finkielkraut, Claire Chazal, Etienne Mougeotte, Anne Sinclair, Dominique Strauss-Kahn, Olivier Fogiel, Philippe Sollers, Bernard Kouchner, Jean-Marie Colombani, etc..., la liste est longue. Une galaxie baroque de publicistes en tous genres, animateurs télé, journalistes véreux, éditeurs-critiques-écrivains, politiciens fourbes et hommes d'affaires cyniques, dont les liens claniques forment, depuis les années '80, une véritable petite République mafieuse au service de son intellectuel de façade. Une partie de l'intelligentsia française la plus en vue montre ici une arrière-cuisine bien peu ragoûtante.

La longue suite d'histoires exposées dans Une imposture française autour du cas BHL -- qui peut également s'appliquer à quelques autres figures de la "Nouvelle Réaction" française -- montre assez bien sous les paillettes du spectacle, la veulerie générale d'un monde d'élites médiatiques qui n'hésitent pas à devenir féroces lorsqu'il s'agit de défendre les intérêts de l'un de ses illustres représentants. Chacun se souvient par exemple des attaques injustes et violentes téléguidées, relayées et répercutées de façon retentissante dans toute la presse par les sbires de Bernard-Henri Lévy contre des intellectuels pourtant d'une autre stature que lui (Pierre Vidal-Naquet, Gilles Deleuze, Pierre Bourdieu, Jacques Derrida, Cornélius Castoriadis, Pierre Nora, Alain Badiou,...), qui osaient exprimer des doutes sur l'oeuvre de la jeune star de la philosophie française. L'une des accusations perfides les plus systématiquement utilisées contre ses détracteurs -- et maintenant aussi de tout intellectuel juif même le plus crétin -- étant celle d'antisémite, il ne reste bien entendu aucune place pour les tentatives de libre critique.

Du lancement en 1977 par Bernard Pivot et Françoise Verny sur le marché des Nouveaux philosophes aux poses et dandinements télévisés d'intellectuel engagé sur fond de pays en guerre (Bosnie, Afghanistan, Algérie, etc), en passant par les "reportages philosophiques" du quotidien Le Monde, le frauduleux "romanquête" sur l'affaire Pearl ou le prétentieux American Vertigo (dernier récit en date relatant un ridicule voyage aux Etats-Unis sur les traces de Toqueville), l'esbrouffe BHL est particulièrement édifiante en matière d'appauvrissement du débat public.

Citons, pour résumer Une imposture française, les très justes propos de Régis Debray: "Nous avons les divas que nous méritons. Le fric, l'image et le lieu commun sont les trois pilotis de notre système social. Bernard-Henri Lévy réussit la synthèse, il y a toute sa place", ou encore ceux de Jean-Luc Godard (lors de la sortie du catastrophique film de Bernard-Henri Lévy avec son épouse Arielle Dombasle et Alain Delon dans les rôles principaux) : "Il n'est pas plus cinéaste qu'il n'est écrivain. Ça doit être un éditorialiste".

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, mardi 28 février 2006. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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