Abdellatif Kechiche

Abdellatif Kechiche

Déjà récompensé par six Césars du cinéma en l'espace de trois films (La Faute à Voltaire, L'Esquive et La Graine et le Mulet), Abdellatif Kechiche revient sur les écrans trois ans après son dernier long-métrage. Avec Vénus noire, sélectionné récemment à la Mostra de Venise, le réalisateur franco-tunisien s'attaque aux genres historique et biographique.

L'histoire se déroule à Londres, au début du XIXe siècle. Saartjie Baartman (Yahima Torres dans le film), une esclave née en Afrique du Sud en 1789, est montrée dans les foires aux monstres sous le nom de "Vénus Hottentote". Les foules se pressent à ce spectacle érotico-exotique de Piccadilly Circus pour voir bouger et danser la "négresse au gros cul". C'est surtout son corps que ces badauds viennent observer comme le symbole d'une inquiétante étrangeté qui les effraye et les fascine à la fois. La "Vénus noire" a les fesses et les lèvres vaginales hypertrophiées, ainsi qu'un un crâne "semblable à celui des singes", selon le zoologue et paléontologue Georges Cuvier (François Marthouret) qui en effectuera des moulages au moment de son décès, en 1815.

Sous la coupe d'Hendrick Caezar (André Jacobs), son maître Boer qui l'a "importée" d'Afrique du Sud en 1810 avec la promesse de faire beaucoup d'argent rapidement, Saartjie est exhibée dans les foires populaires de Londres aux côtés d'autres phénomènes. Elle passe ensuite entre les mains d'un escroc des milieux du spectacle, Henry Taylor, qui la revend à un certain Réaux (Olivier Gourmet), monteur d'ours français qui lui ouvre tour à tour, telle une descente aux enfers, les portes des appartements de l'aristocratie française, puis celles des salons libertins, et pour finir celles des maisons closes. Malade, elle meurt seule et dans la misère en décembre 1815, à l'âge de 26 ans. Après sa mort, et pendant près de cent-soixante ans, de 1817 à 1976, les moulages de ses organes génitaux et de son cerveau seront exposés à Paris au Muséum d'histoire naturelle puis au Musée de l'Homme.

Saartjie Baartman symbolise l'asservissement du peuple noir. Elle est devenue une icône pour l'ethnie hottentote et l'Afrique du Sud en général qui a récupéré sa dépouille en avril 2002 pour l'enterrer dignement dans sa province natale du Cap. Mais au-delà de la figure du martyr, Kechiche comble les vides de l'histoire de cette femme, nous la dépeignant comme absente de son corps. Il compose un film qui soulève également bien des questions, notamment sur le regard de l'Occident sur l'Afrique, l'éthique de la science, la complexité des rapports de domination, le métier d'artiste et sa frontière ténue entre ce qui relève du public et de l'intime.

Poignant et profond, le film d'Abdellatif Kechiche fait inévitablement penser à Elephant man de David Lynch, en portant toutefois un regard moins esthétisant et moins voyeuriste. Vénus noire est avant tout un cri qui s'élève contre l'inhumanité. Le mot de la fin revenant à Yahima Torres, actrice non professionnelle qui incarne Saartjie à l'écran, qui confie qu'être humain, c'est "respecter ce qui nous est étranger".

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Abdellatif Kechiche, Vénus noire, avec Yahima Torres, André Jacobs et Olivier Gourmet.

Copyright © Virginie Kramer / republique-des-lettres.fr, Paris, mercredi 27 octobre 2010. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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