N'en déplaise à l'historien Fernand Braudel qui prétendait que cette mer quasi fermée, "qui s'allonge sur 3.860 kilomètres d'ouest en est" (la métaphore est du géographe Yves Lacoste), unissait plus qu'elle ne séparait au gré de ses rives, la Méditerranée reste divisée selon quatre aires: l'Europe, le monde arabe, l'ensemble israélien et la Turquie. Cette division, toutefois, n'a pas encore fomenté de confrontations majeures entre ses vingt-deux pays riverains, si l'on excepte le conflit israélo-palestinien vieux de six décennies.
Dans un remarquable dossier, La Méditerranée, un avenir en question, paru dans la revue Questions internationales, le diplomate Jacques Huntzinger (ambassadeur de France, en charge du volet culturel de l'Union pour la Méditerranée) explique les impasses politiques, les asymétries économiques et les fractures culturelles qui confortent la mise à l'écart de la Méditerranée au coeur de la mondialisation. Il pourrait en être autrement, assure l'économiste Georges Corm (professeur à l'université Saint-Joseph de Beyrouth et ancien ministre libanais), dans la mesure où les populations concernées parvenaient à imposer une communauté fondée sur leurs si précieux atouts: un patrimoine commun, hellénistique, byzantin et romain, des filiations entre les trois monothéismes nés sur leurs rivages, l'influence de la philosophie arabo-musulmane sur la rive Nord et celle de la philosophie des Lumières sur les rives Sud et Est.
Mais la réalité est moins romantique. Et les désaccords, les rivalités et les incompréhensions entre les riverains et les non-riverains (parmi lesquels Américains, Anglais et Chinois convoitent voies de circulation et points d'appui) empêchent l'ensemble des partenaires de dépasser l'insuccès de la Conférence euro-méditerranéenne de Barcelone (1995) pour relever les défis de l'Union pour la Méditerranée, lancée en 2008 à l'initiative de la France.
Le "grand projet méditerranéen" implique des enjeux politique, économique et sécuritaire, admettent les contributeurs à la revue dirigée par Serge Sur (professeur de droit et relations internationales à l'université de Panthéon-Assas); il catalyse aussi des enjeux énergétique et écologique, religieux et culturel, agricole et agro-alimentaire, maritime et juridique, historique et mémoriel.
L'enjeu migratoire n'est pas le moins important. Il est illusoire, prétend le géographe Pierre Beckouche (professeur à l'université Panthéon-Sorbonne), de vouloir "partager les richesses créées entre les deux rives sans que les pays européens acceptent de passer des 'migrations' -- fondées sur l'idée fausse que les habitants du Sud n'auraient pour seule envie que de s'installer en Europe -- aux 'mobilités', sans lesquelles toute intégration régionale restera une vue de l'esprit".
Un bon, un excellent dossier de la revue Questions internationales qui offre au lecteur exigeant la mise en perspective et le recul, les données et l'analyse qu'il demande, autrement dit l'histoire et la géographie. Entrelacs complexe de conflits et d'intégrismes, de bonheurs et d'angoisses, d'absurde et de tragique, l'imbroglio méditerranéen est ainsi démêlé avec l'intelligibilité que donne la fréquentation des média élitistes de la presse écrite.
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• Revue Questions internationales, La Méditerranée : un avenir en question (numéro 36, mars-avril 2009, La Documentation française).
• Jacques Bethemont, La Méditerranée en partage (Documentation photographique, numéro 8039, La Documentation française).