Bien que non autobiographique, ce "bois dont on fait les héros", est celui de Delibes, engagé à dix-huit ans, avant de vouer son écriture à la dénonciation du totalitarisme. En témoigne ce roman que l'on trouverait loufoque si il n'était pas aussi grave, aussi lourd de générations sacrifiées.
Comment devient-on franquiste? Par atavisme, par éducation? Il suffit à Gervasio de frissonner à l'écoute d'une musique militaire, d'être entretenu dans le feu sacré par un oncle vétéran du Carlisme pour en faire un traître aux convictions de son père, seul libertaire de la famille. "Je vais être un héros sans mourir." croit-il. Saura-t-il embrasser une "noble cause"? Moderne et piètre Don Quichotte, il heurte son idéal à de terribles réalités. L'un de ses parents est "bassement assassiné à Madrid par la canaille marxiste", l'autre torturé par les "Croisés" du nationalisme. Aucun des deux partis de la Guerre civile n'en sort indemne. Lorsque notre "héros", engagé dans la marine, tremble de peur sous les bombardements aériens, le voilà devenu anti-héros... Quand Pita est fusillé pour trahison et intelligence avec les Rouges, il se demande: "Est-ce que ce ne serait pas l'homme qui meurt généreusement qui ennoblit la cause qu'il défend?"
Ce n'est pas un livre inoubliable, mais par la sincérité du narrateur, la précision d'un tableau dont Gervasio est loin de comprendre tous les tenants et aboutissants, il acquiert un réel intérêt psychologique et historique.