Nicolas Genka

Nicolas Genka -- Eugène Nicolas pour l'Etat civil -- est né le 3 décembre 1937 à Quimper, d'un père breton et d'une mère allemande. Au milieu des années '50 il sert l'armée française en Algérie à titre d'infirmier.

De retour en France en 1958, Nicolas Genka écrit L'Épi monstre, un roman à l'écriture lumineuse, tantôt sèche, tantôt incantatoire, qui traite sans aucune obscénité de l'inceste dans la France profonde. "Elle lui devra la souffrance. Elle essaiera le Notre Père et le Je vous salue Marie. Machinalement. Elle essaiera l'été, les pierres, la moisson, le matin dans un bol de porcelaine, elle essaiera la pluie, l'orchidée, le cercueil de l'hirondelle. L'hiver, elle ramassera les clefs prises sous le gel et les imprimera sur son front afin de perpétrer, tout pêle-mêle, le pire et le meilleur", écrit Genka d'une de ses héroïnes. Le manuscrit essuie les refus d'une douzaine d'éditeurs.

En décembre 1961, Christian Bourgois, directeur littéraire des Éditions Julliard, décide de publier le livre avec une préface de Marcel Jouhandeau. Les critiques saluent la naissance d'un vrai écrivain; Jean Cocteau lui décerne un prix littéraire créé spécialement, le "Prix des Enfants terribles"; le livre devient un succès de librairie. Mais le scandale autour des questions d'inceste éclate et en juillet 1962 le ministère de l'Intérieur interdit le livre au nom de la protection des mineurs. Une partie de la famille de l'écrivain lui intente un procès. Sa maison en Bretagne est mise à sac et sa bibliothèque incendiée. "Il est la honte de son village", titre le journal Paris Presse. L'interdiction est étendue à l'exportation, à la publicité et aux traductions à l'étranger alors que le roman devait être traduit par Pier Paolo Pasolini en Italie, Yuko Mishima au Japon ou encore Vladimir Nabokov aux Etats-Unis. Christian Bourgois et Régine Deforges plaident la cause du livre auprès du gouvernement, notamment auprès d'André Malraux, alors ministre de la Culture du Général de Gaulle. En vain. L'Épi monstre rejoint "l'Enfer" de la Bibliothèque Nationale.

Ce n'est que 37 années plus tard, en 1999, que la petite maison d'édition Exils dirigée par Philippe Thureau-Dagin décide de le rééditer, sans que l'interdiction ait été formellement levée par le gouvernement. "Ce roman nous dit que là où il y a famille, il y a une structure porteuse de crime, d'inceste, de viol, de folie, de mort. C'est cette vérité, d'habitude refoulée, qui a déclenché l'interdiction du ministère de l'Intérieur", écrit dans sa préface l'écrivain Jacques Henric, citant Aristote: "la famille est le milieu tragique par excellence". La diffusion du livre est tolérée mais la censure ne sera officiellement levée qu'en 2005.

En 1964, Nicolas Genka publie un second roman, Jeanne la pudeur, l'histoire d'une "putain aux robes de Pigalle" qui revient dans son village natal "fière, au bras d'un nègre puis d'un jaune. On la hait". Soutenu par Jean Paulhan et Louis Aragon, le livre obtient le prix Fénéon. René de Cecatty fait dans Le Monde l'éloge de "ce long poème admirable de rigueur, d'audace et d'élégance". Mais le ministère de l'Intérieur frappe également ce livre d'un arrêté d'interdiction. Une longue procédure judiciaire s'ensuit.

Nicolas Genka publie en 1968 un troisième livre, L'abominable boum des entrepôts Léon Arthur (Éditions Christian Bourgois), qui passe lui totalement inaperçu. Brisé, il cesse de publier et sombre dans l'oubli. Il se retire en province où il vit de divers petits métiers, apprenant "l'éthique de la pauvreté", dira-t-il plus tard. Comme pour L'Épi monstre, il faudra attendre 1999 pour que Jeanne la pudeur soit réédité, cette fois par Raphaël Sorin chez Flammarion, toujours malgré la loi de juillet 1949 sur la protection des mineurs.

Encouragé par les rééditions de ses deux premiers romans, Nicolas Genka publie en 2001 Les premières maisons de ville (éditions Flammarion), premier volet d'un grand roman qui devait selon lui se décliner en plusieurs tomes. Il n'achèvera pas son projet, décédant le 12 janvier 2009 à Nogent-sur-Marne, à l'âge de 71 ans.

Copyright © Mélanie Wolfe / republique-des-lettres.fr, Paris, mercredi 3 août 2016. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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