Jacques Géraud

Biographie Thomas De Quincey
Thomas De Quincey
De l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts

Éditions de La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0195-4
Prix : 5 euros
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Voici que le printemps s'installe en plein de coeur de l'hiver avec ce verdoyant ouvrage de Jacques Géraud -- puisque la couverture est verte --, "en vert et contre tout" : Petits proustillants.

Voici que pour notre plus grand bonheur, le narrateur proustien est remis en selle pour une cavalcade franchement comique, selon un parcours alphabétique déclinant nos vingt-six lettres à la mode la plus "kitsch" ou la plus "branchée" . Ainsi, la lettre "L" voit Marcel -- ou un pseudo-Marcel, un néo-Marcel? -- s'esbaudir devant le fameux Loft qui défraya la chronique. Il se prend à rêver de rejoindre les débiles lofteurs "vautrés sur les banquettes Ikéa, entrechoquant des phrases tout incrustées de je veux dire et rehaussées de quoi", pour les éblouir de sa culture classique en leur récitant Le loup et l'agneau ou Les animaux malades de la peste, et advienne que pourra... Au chapitre Marcel, précisément (mais c'est -- "marcel" -- le maillot de corps genre prolo), le potache du même nom se souvient des cours de français de Première, au lycée Condorcet, où le professeur, incessamment révoqué, lisait et déclamait, non les: "O rage! O désespoir! Orages désirés! O temps suspend ton vol! O soldats de l'an II" du répertoire, mais Histoire d'O. Le lecteur l'aura compris: finies les duchesses, finis les salons, et avec ou sans grand-mère, avec ou sans "maman" , projection dans le bric-à-brac dépoétisé du XXIe siècle d'Adidas en Zappinge, de Piercing en Viagra, ou repoétisé au travers des trente-six -- on duplique parfois une même lettre -- scénarios qui alphabétiquement s'allument, comme autant de chandelles, dans la cervelle affolée ou enfiévrée de notre Marcel revu et corrigé, et incorrigible. Les Guignols de Canal sont eux aussi remaniés, remasterisés par cette jeune imagination, "guignolisant" le milieu familial du 9 boulevard Malesherbes qui, de bourgeois, en devient pantin, moderne marionnette de latex ! Car, à l'image de Proust se promenant dans son époque, dans les plaisantes médiocrités ou le profond néant de la vie mondaine, les Petits proustillants grignotent et égratignent les réalités sociales de notre XXIe siècle. La présentation alphabétique, non sans rappeler la manière d'un Voltaire, réfléchit l'image de quelque work in progress -- ou patchwork -- joycien: il suffit d'insérer, de retrancher -- pourquoi pas? -- pour modifier ce réseau. Un regard qui se promène sur les bords de notre nouveau siècle, irisé d'une ironie douce, et le marcheur infatigable de la Recherche se transforme en coureur erratique, butinant sur un chemin drolatique et sinueux.

Sinueux car parfois l'allusion ou la métaphore se fait métamorphose. Ainsi, Marcel qui ne sait pas nager, condamné à regarder les jolies baigneuses du Grand Hôtel, envieux de leur corps, décide d'apprendre le crawl. Mais ce n'est pas le risque trivial de la noyade qui le guette, c'est celui beaucoup moins banal d'un barattage des eaux turquoises, qui se figent sous les effets natatoires bizarres de l'apprenti. Heureusement qu'il s'y voit emprisonné sur le dos car la piscine, transformée en patinoire, laisse "à chacun des passages de mes patineuses le précieux tabernacle de leur corps à la secrète porte entrebâillée pour peu que sous leur jupette elles m'eussent fait le don inouï de ne rien mettre, rien du tout, pas le plus petit "dessous", pas le moindre "string", passant, repassant, sans fin passant et repassant à la verticale du nageur immobile, immobile en son dos crawlé, aux grands yeux fixes éternellement dardés, au travers de la transparence turquoise du bloc, sur la faille qui s'ouvre à la jonction du compas de leurs jolies jambes ouvert à 120°". Obsédé de sexe, -- voir X, Viagra et maintes autres rubriques -- le narrateur l'est certainement, comme il est en proie à la folie des grandeurs et traversé de force lubies. Au XXIe siècle naissant, le fantasme de l'enfant adopté par ses parents se change en une rêverie extra-terrestre. "Depuis que j'avais vu E.T à la TV, que j'avais sangloté à cette bluette, je ne pouvais m'ôter la pensée que tel le héros éponyme, et malgré mon faciès à peu près humain, je ne venais pas de ce monde, mais d'un autre, mais quel?". Le décalage des regards, la superposition des époques font naître cette ironie douce sans amertume. D'autant que la phrase majestueuse se déploie longuement, et l'adjectif souvent placé à un endroit inattendu surprend et fait sourire. Ailleurs, (Zappinge) l'immémorial pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle sera détrôné au profit du... salon familial, tel un musée où viendront défiler, devant le père curieusement "transsubstantié" du jeune Marcel, les modernes pèlerins. Irrité d'ailleurs de tant de badinages, Marcel (le vrai, le grand : Proust), écrit en personne à l'auteur dans une lettre liminaire, outré de ces "transfigurations": "Je vous trouve bien hardi de fomenter tous ces traficotages de moi, toutes ces petites expériences comme si vous étiez mon démiurge, et moi votre marionnette."

Hardis ou badins, n'importe: grignotons ces Petits Proustillants pour qu'ils deviennent autant de succulents Petits... Lus.

Agrégé de lettres, ancien élève de l'ENS de Saint-Cloud, Jacques Géraud est l'auteur de plusieurs livres parmi lesquels, aux éditions POL: L'Empereur (1985), Birthday (1989), Proustites (1991).

Copyright © Pascale Hermann / republique-des-lettres.fr, Paris, mercredi 07 décembre 2005. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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