Charlie Hebdo

Charlie Hebdo

Charlie Hebdo est un journal satirique fondé en novembre 1970 par l'équipe de Hara-Kiri Hebdo -- Georges Bernier (alias Professeur Choron), François Cavanna, Topor, Fred, Reiser, Wolinski, Gébé, Cabu, Delfeil de Ton, Fournier et Willem -- lorsque le journal "bête et méchant" est censuré par le ministre de l'intérieur de l'époque à la suite d'un dessin irrespectueux sur la mort du Général de Gaulle. Le titre vient du mensuel Charlie Mensuel, que Bernier et Delfeil de Ton ont lancé en 1969 en s'inspirant du nom d'un personnage des Peanuts de Charles M. Schulz, Charlie Brown. Le directeur de publication de ce mythique Charlie Hebdo des années '70 est Georges Bernier. Son rédacteur en chef est Cavanna. Politiquement situé dans la mouvance libertaire et d'extrême-gauche, Charlie Hebdo pratique alors avec talent un journalisme impertinent de critique sociale et de satire. Faute d'argent, il doit cependant cesser de paraître en décembre 1981.

En 1992, le dessinateur Cabu et le chansonnier Philippe Val (du duo Font et Val) quittent la rédaction de l'hebdo satirique La Grosse Bertha à la suite d'un différend avec le directeur de publication, Jean-Cyrille Godefroy. Ils décident de reprendre le titre Charlie Hebdo et fondent une société de presse au capital de 2.000 Francs, les Éditions Kalachnikof, dont les actionnaires principaux sont alors Philippe Val, Gébé (Georges Blondeaux), Cabu et le chanteur Renaud. Philippe Val est nommé rédacteur en chef et Gébé directeur artistique. Le 1er numéro de la nouvelle formule, publié en juillet 1992, se présente comme une renaissance de l'ancien Charlie Hebdo, dont il utilise la maquette d'origine. On y retrouve également les mêmes collaborateurs: Cavanna, Delfeil de Ton, Siné, Gébé, Willem, Wolinski, Cabu, plus quelques nouvelles signatures: Charb, Oncle Bernard (Bernard Maris), Renaud, Luz, Tignous.

Sous la direction du très autocrate Philippe Val -- qui deviendra principal actionnaire et directeur de la rédaction après la mort de Gébé et le départ de Renaud en 2004 -- Charlie Hebdo change d'orientation et s'engage dès lors sur une ligne rédactionnelle de plus en plus réactionnaire. Plusieurs chroniqueurs ou dessinateurs tels les historiques Choron et Delfeil de Ton, puis plus tard Philippe Corcuff, Olivier Cyran, Mona Chollet ou encore Lefred-Thouron, doivent se soumettre ou quitter le journal. Des polémiques et des combats douteux menés abusivement au nom de la liberté d'expression -- tels celui de février 2006 sur les caricatures de Mahomet, aux relents d'occidentalisme et d'islamophobie -- remplacent progressivement l'esprit libertaire et insolent des origines. Sous couvert de lutte "voltairienne" pour les "libertés démocratiques", Philippe Val y fustige allègrement les altermondialistes, les "islamo-gauchistes", les palestiniens, les "nonistes" au Traité de Constitution européenne et, d'une façon générale, toute la mouvance de la gauche radicale. L'hebdomadaire conserve certes encore des collaborateurs talentueux mais la normalisation idéologique exprimée chaque semaine dans les "éditos" de Philippe Val et de certains nouveaux membres de l'équipe comme Caroline Fourest transforment le journal en feuille pseudo-intellectuelle de désinformation aussi réactionnaire que moraliste, au grand plaisir des sarkozystes et des intellectuels néo-cons dits "de gauche" (Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, André Glucksmann, Bernard Kouchner, etc). 500.000 exemplaires du journal sont tirés pour le numéro consacré aux caricatures de Mahomet, dont l'objectif est à l'évidence de stigmatiser l'Islam et les Musulmans désignés comme des terroristes en puissance. Lors des élections présidentielles de 2007, un sondage interne à la rédaction révèle que sur 38 collaborateurs de Charlie Hebdo, 21 votent à droite. En 2008, à la suite d'un article sur l'arrivisme de Jean Sarkozy, un procès médiatique en antisémitisme est même lancé par Philippe Val, philosémite notoire, contre Siné (Maurice Sinet, 80 ans d'anarchisme et d'anticléricalisme, dont 16 passés à Charlie Hebdo) afin de justifier son licenciement arbitraire. Plusieurs figures historiques disparaissent, d'autres s'éloignent du journal qui commence à décliner. Son nouveau concurrent lancé par Siné, Siné-Hebdo, le supplante rapidement sur le marché de la presse satirique française. En mai 2009, Philippe Val, propulsé par Nicolas Sarkozy à la tête de France Inter, quitte le navire qu'il a en partie sabordé. Charlie Hebdo, que beaucoup d'anciens lecteurs surnomment désormais "Le nouveau Figaro illustré", passe entre les mains de Caroline Fourest, tout autant idéologue et arriviste que son ancien patron. Charb devient directeur de la publication et Riss rédacteur en chef.

Charlie Hebdo a perdu ces deux dernières années environ un tiers de son lectorat. Édité par les Editions Rotative, qui compte pour actionnaires Philippe Val (600 parts), Cabu (600 parts), Bernard Maris (200 parts) et Eric Portheault (100 parts), il se vend encore en moyenne à quelque 55.000 exemplaires contre 80.000 avant l'affaire Siné, mais pour combien de temps ?

Copyright © Eric Frezel / republique-des-lettres.fr, Paris, lundi 8 août 2016. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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