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La République des Lettres

Abdelkébir Khatibi

Abdelkébir Khatibi
Triptyque de Rabat

La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0122-0
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
Disponible chez • AmazoniTunes

Nicolas Sarkozy

Nicolas Sarkozy

L'affaire judiciaire de la Poupée vaudou de Nicolas Sarkozy est une petite histoire, mais elle en dit long sur l'amour que les français portent à leur président et sur la personnalité aussi paranoïaque que procédurière de ce dernier. Petite chronologie de l'affaire, pour mémoire.

Depuis début octobre, les éditions K&B commercialisent un coffret bleu contenant un petit livre de 56 pages intitulé Nicolas Sarkozy, le manuel vaudou et une poupée de 20 centimètres de hauteur à l'effigie du Chef de l'Etat accompagnée d'un lot de 12 aiguilles. La brochure est une biographie humoristique proposant des "sortilèges magiques" contre la politique menée par Nicolas Sarkozy. On peut y lire notamment que "Grâce aux sortilèges concoctés par le spécialiste en sorcellerie Yaël Rolognese, vous pouvez conjurer le mauvais oeil et empêcher Nicolas Sarkozy de causer davantage de dommages". Sur la poupée le représentant figurent des inscriptions faisant référence à des épisodes ou des formules controversés de son parcours politique, comme le mot "racaille" dont il avait qualifié des jeunes de banlieues, le slogan de campagne électorale "Travailler plus pour gagner plus" ou encore le "Casse-toi pauv'con" lancé au salon de l'Agriculture à un homme qui avait refusé de lui serrer la main. Un autre coffret de même nature, mais de couleur rouge, est lui consacré à Ségolène Royal. Ces coffrets sont inspirés, selon l'éditeur, d'un kit américain aux effigies du président sortant des Etats-Unis George W. Bush et de la sénatrice Hillary Clinton. Les deux publications humoristiques de K&B, tirées à 20.000 exemplaires, sont mises en vente en librairie le 9 octobre au prix de 12,95 euros.

Moins d'une semaine plus tard Me Thierry Herzog, avocat du président, adresse un courrier à la société Tear Prod (maison-mère des éditions K&B), pour réclamer le retrait de la poupée vaudou de Nicolas Sarkozy. La maison d'édition ne donne pas suite à l'injonction présidentielle. Le 23 octobre Nicolas Sarkozy l'assigne en référé pour "violation du droit à l'image". Premier chef de l'Etat français à aller en justice pour atteinte à son image et à sa vie privée, il demande à la Justice d'interdire la diffusion de sa poupée vaudou. Ségolène Royal raille le manque d'humour du Chef de l'Etat, estimant que genre de choses reste ludique et n'est que la rançon de la notoriété. Elle ne manque pas d'épingler le comportement censeur de Nicolas Sarkozy: "bientôt il portera plainte contre Le Canard enchaîné, contre Marianne, contre Les Guignols de l'Info". Les éditions K&B relativisent elles aussi l'affaire. Elles indiquent qu'elles ne sont qu'une maison d'édition, pas une officine de sorcellerie vaudou, et considèrent les demandes de Nicolas Sarkozy "totalement disproportionnées compte tenu de l'aspect ludique et humoristique du Manuel". L'éditeur rappelle aussi l'intervention du chef de l'État qui, lors de l'affaire des caricatures de Mahomet, avait dit préféré l'excès de caricature à l'excès de censure.

L'affaire de la poupée vaudou de Sarkozy est plaidée le 29 octobre devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. S'appuyant sur les lois concernant la "violation du droit à l'image", l'avocat du président plaide d'une part que le droit à l'image du président est "exclusif et absolu", d'autre part que l'ouvrage "n'est justifié par aucun motif légitime d'information du public". Il réclame le retrait du commerce de la poupée litigieuse, 1.000 euros d'astreinte par coffret encore en vente et un euro symbolique au titre des dommages et intérêts. Le tribunal déboute la demande judiciaire de Nicolas Sarkozy -- c'est une première pour un président français en exercice -- et le condamne à payer les frais de justice. Les juges du TGI estiment en effet que "Cette représentation non autorisée de l'image de Nicolas Sarkozy ne constitue ni une atteinte à la dignité humaine, ni une attaque personnelle" et que la commercialisation de la poupée vaudou des éditions K&B s'inscrit dans "les limites autorisées de la liberté d'expression et du droit à l'humour". Quelque peu déconfit mais toujours aussi remonté contre sa poupée vaudou, Nicolas Sarkozy fait dire le même jour par son avocat qu'il interjette appel de la décision du TGI. Pour Me Herzog, le jugement du TGI n'est pas conforme à la jurisprudence car "le droit à l'humour existe en matière de diffamation, mais pas en matière de droit à l'image".

L'affaire est largement médiatisée et les éditions K&B -- qui étaient en redressement judiciaire depuis le printemps -- bénéficient à plein de la promotion donnée par le président à sa poupée vaudou. Les 20.000 exemplaires du premier tirage sont épuisés en quelques jours. À la FNAC ou sur Amazon, les poupées à l'effigie de Nicolas Sarkozy s'arrachent, détrônant même le best-seller du moment (le livre de Mémoires de Soeur Emmanuelle). Tout le monde veut planter des aiguilles sur le corps en chiffon de Nicolas Sarkozy.

Particulièrement diligente, la Justice réexamine la semaine suivante la plainte du très procédurier et superstitieux chef de l'Etat. Lors de l'audience qui se tient le 13 novembre devant la 14e chambre de la Cour d'appel de Paris, présidée par Henriette Schoendoerffer, Me Herzog redemande d'interdire la vente de la poupée, s'appuyant sur une ancienne jurisprudence qui a vu le président Valéry Giscard d'Estaing obtenir dans les années '70 le retrait d'un jeu de cartes à son effigie. Pour lui, il ne s'agit pas "d'une oeuvre de l'esprit mais d'un objet purement commercial" qui oblige à obtenir l'autorisation de la personne représentée. Il stigmatise également les pratiques du rite animiste vaudou, religion d'origine africaine très implantée dans les Antilles. Selon lui, la figurine dépasse le droit à la caricature car "elle invite les gens qui détestent ou méprisent le président à jouer un rôle actif en les incitant à piquer la poupée dans le but de faire du mal". Ce serait une incitation à la haine prise très au sérieux par Nicolas Sarkozy. "On peut rire de tout, mais pas avec n'importe quoi", affirme l'avocat. Me Arnaud Rouillon, défenseur de K&B, conçoit pour sa part que Nicolas Sarkozy n'apprécie pas sa poupée vaudou mais que "ce n'est pas une raison pour en demander le retrait". Il plaide que le coffret -- poupée et livre étant indissociables -- participe du débat d'opinion, l'objectif n'étant pas de s'attaquer à la personne de Nicolas Sarkozy mais de permettre aux français qui ne sont pas d'accord avec sa politique de "piquer ses idées et ses slogans". Pour lui ce manuel vaudou anti-sarkozyste est, au même titre que n'importe quel livre du même genre, une "oeuvre de l'esprit qui se place délibérément dans le cadre de la satire et de l'humour". C'est une "caricature, qui même grossière, provocante et de mauvais goût, relève néanmoins de la liberté d'expression". En outre, ajoute-t-il, son "second degré et son aspect ludique n'ont échappé à personne". Les magistrats de la Cour d'appel se donnent deux semaines de réflexion. Le 28 novembre, ils rendent un arrêt qui coupe la poire en deux, jugeant que la poupée vaudou à l'effigie de Nicolas Sarkozy constitue bien une "atteinte à la dignité" de Nicolas Sarkozy mais estimant néanmoins "qu'il n'y a pas lieu d'interdire la poupée" car ce serait une mesure disproportionnée et inadéquate. La poupée vaudou de Nicolas Sarkozy peut donc rester dans le commerce, accompagnée toutefois d'un bandeau, comme sur les couvertures de la presse people, mentionnant le texte de la condamnation, c'est-à-dire: "l'incitation du lecteur à piquer la poupée avec les aiguilles constitue une atteinte à la dignité de la personne de M. Sarkozy". À ce jour, le coffret est en rupture de stock mais l'éditeur indique qu'il sera remis en vente courant décembre, à temps pour les fêtes de fin d'année.

Depuis son installation à l'Elysée, et contrairement à tous ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy multiplie les procédures judiciaires contre de simples citoyens et des organes de presse ou d'édition. En février, il attaque la compagnie aérienne Ryanair qui publie une photo du couple Carla Bruni / Nicolas Sarkozy sur des affiches publicitaires. À la même époque il dépose plainte contre Le Nouvel Observateur qui évoque un SMS adressé par le président à son ex-épouse Cecilia. Plus récemment, il porte plainte pour "dénonciation calomnieuse" contre Yves Bertrand, ex-patron des Renseignements Généraux (RG), après la publication dans la presse d'extraits de ses Carnets. Le mois dernier, un simple manifestant, Hervé Eon, a également été traîné en Justice et condamné pour "offense au chef de l'Etat" devant le tribunal correctionnel de Laval. Son crime ? il avait brandi une affichette "Casse toi, pauv'con" au passage du cortège présidentiel. Avec l'affaire de la poupée vaudou, les milieux judiciaires commencent à trouver quelque peu abusives ces multiples procédures pour crime de "lèse-majesté" qui rappellent la censure des libelles voltairiens sous l'Ancien Régime.

Copyright © Hortense Paillard / La République des Lettres, Paris, vendredi 28 novembre 2008. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.

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