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La République des Lettres

Jean Douchet

Il y a 40 ans, une bande de "jeunes Turcs", François, Jean-Luc, Jacques, Claude et les autres, réalisaient la même année -- 1958 -- leurs premiers longs métrages: ils avaient nom Truffaut, Godard, Rivette, Chabrol et Rohmer, prénom Eric, "le frère aîné tutélaire". Apparu sous la plume de Françoise Giroud dans l'Express du 3 octobre 1957, le terme "Nouvelle vague", appliqué à un portrait de la jeunesse, est repris par Pierre Billard en février 1958 dans la revue Cinéma 58.
C'est l'histoire de cette Nouvelle vague, un mouvement fulgurant qui dura moins de cinq ans mais dont l'onde de choc se ressent encore, que conte Jean Douchet dans un très bel ouvrage aux couleurs rouge et bleu de Pierrot le fou / Belmondo qui orne la couverture. "Il y a un avant et un aprés A bout de souffle, écritl'auteur, qui a lui-même participé à la formation de la NV en tant que critique et cinéaste et enseigne aujourd'hui à l'Ecole des métiers de l'image et du son (ex-Femis).
Pour Jean Douchet, la NV est une "école de son temps, impertinente, ludique, inventive", qui reflète "une époque de conquête et de croissance, l'optimisme d'avant la crise qui suivra 1968". Si le coup d'envoi fut donné par Le coup du berger de Jacques Rivette en 1956, il fait remonter le rejet du cinéma français officiel àl'Occupation et à la découverte enthousiaste, au lendemain de la guerre, du cinéma américain. LaCinémathèque puis la célèbre "revue à couverture jaune", Les Cahiers du Cinéma, "drôle, insolente, provocante", ont servi d'école à ces jeunes plumes critiques qui vont bientôt s'emparer de la caméra. En 18 chapitres, Jean Douchet analyse les innovations qui bouleversent le cinéma de papa dans le scénario, le dialogue, le son, l'éclairage, la direction des acteurs etc. C'est la rue contre le studio, la liberté du corps contre la fausse pudeur, illustrée par BB... " Jean-Luc Godard lui offrira un chef-d'oeuvre et son plus beau rôle dans Le Mépris".
L'autre symbole de l'époque est Jean-Paul Belmondo que Jean Douchet regrette de voir "aujourd'hui engoncé dans l'infortune d'un jeu boulevardier sans esprit".Dans cet ouvrage très complet, qui cite de 1955 à 1964 les films marquants à travers les critiques de l'époque, Jean Douchet passe en revue tous ceux qui ont gravité autour de la galaxie Nouvelle Vague, précurseurs, compagnons de route (Melville, Jean Rouch, Louis Malle, Roger Vadim, Alain Resnais, Doniol-Valcroze, Pierre Kast, Rozier...) ou réfractaires tel Pialat. La vague a provoqué des remous hors des frontières ou coïncidé avec un besoin de chamboulement planétaire: Cassavetes,le Cinema Novo au Brésil, Oshima au Japon, ou les jeunes talents (Coppola, Lucas, Nicholson...) sortis de l'écurie du maître américain de la série Z Roger Corman. Parmi les héritiers aujourd'hui de la NV, Jean Douchet cite l'Iranien Abbas Kiarostami, l'Italien Nanni Moretti, le Français Leos Carax, le Taiwanais Hou Hsiao-Hsien et même le transfuge de Hong Kong John Woo.

Copyright © Jean Bruno / La République des Lettres, Paris, dimanche 01 novembre 1998. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.