James Ellroy

James Ellroy est un cas. De tous les écrivains de romans noirs contemporains, il est sûrement le seul à avoir personnellement vécu la violence des crimes qui noircissent leurs pages. Dans Ma part d'ombre, l'écrivain américain délaisse la fiction brutale de ses héros du Los Angeles des années '50 pour la réalité obsédante de l'acte fondateur de sa vie: l'assassinat mystérieux de sa mère. En 350 pages, James Ellroy livre le compte-rendu minutieux, parfois jusqu'à l'outrance, de l'enquête qu'il a menée pendant plus d'un an avec le concours d'un ex-officier de police pour retrouver la trace du meurtrier de Jean Ellroy. Un meurtrier qui court toujours.

Aujourd'hui âgé de 60 ans, l'auteur du fameux Dalhia noir n'en avait que dix lorsque le corps de sa mère étranglée fut découvert par des gamins, le 22 juin 1958, le long d'une rue d'El Monte, dans la banlieue de Los Angeles (Californie). De retour d'un week-end chez son père -- ses parents sont divorcés -- le jeune James Ellroy apprend la nouvelle de la bouche d'un policier. "J'ai versé quelques larmes dans le bus et ça s'est arrêté là. Ma période de deuil n'aura duré qu'une demi-heure", se souvient-il. "La mort de ma mère était en fait un cadeau. Je haïssais ma mère. Je haïssais El Monte. Un tueur inconnu venait juste de m'offrir une toute nouvelle et merveilleuse vie". C'est du moins ce qu'il pensait. Car, depuis ce jour, ce meurtre n'a cessé de hanter James Ellroy à chaque instant de son existence. "Sa mort a défini ma vie", écrit-il.

Dès les semaines qui suivent le drame, James Ellroy s'immerge dans une véritable orgie de romans policiers, un univers presque exclusivement fait de femmes assassinées qui le poursuivent jusque dans son sommeil d'enfant. "Chaque livre que je lisais constituait un hommage indirect, chaque crime résolu une preuve de mon amour pour elle". La mort de son père et cette irrépressible fascination pour le meurtre précipitent l'adolescent Ellroy dans une longue descente aux enfers. Renvoyé de son école, il entame douze années d'une interminable errance emplie d'alcool et de drogue, de voyeurisme nocturne et de rêves incestueux, de vols minables et de séjours derrière les barreaux. Jusqu'au jour où, souffrant pêle-mêle d'hallucinations et d'une pneumonie, James Ellroy touche le fond. "C'était arrêter ou mourir. J'ai arrêté." Employé comme caddie dans les golf huppés de Los Angeles, il se reconstruit patiemment une personnalité en rassemblant un à un les morceaux de son existence éparpillée. Ses obsessions sont toujours là. Mais il leur a trouvé un exutoire, l'écriture. "Je n'avais pas de préparation particulière, mais j'avais une histoire que je devais raconter". Après en avoir fait un paumé, le traumatisme de l'assassinat de sa mère en fait un écrivain au génie obsessionnel, violent et désespérément noir.

En 1981, James Ellroy publie son premier roman, Brown's Requiem. Puis il enchaîne les succès. Clandestin, L.A. Confidential, American Tabloïd, et bien sûr Le Dahlia noir, relation romancée du meurtre inexpliqué d'une jeune femme -- encore et toujours -- qui défraya la chronique policière du Los Angeles de l'après-guerre. Autant de récits désespérés de détectives ripoux et de meurtriers psychopathes engloutis dans cette même spirale ambigüe de violence et de sexe qui continue de le hanter. A 46 ans, les poches pleines de dollars, James Ellroy décide alors en pleine gloire "de s'attaquer à l'histoire centrale de (sa) vie": le meurtre de sa mère Jean Ellroy. Avec l'aide de Bill Stoner, as du bureau du shériff de Los Angeles spécialisé dans les affaires non élucidées, l'écrivain refait toute l'enquête, reprend chaque piste. En vain. De ces dix-huit mois d'un travail de fourmi, l'écrivain n'est pas revenu avec le nom de l'assassin de sa mère, mais avec un récit qui lui a permis de la ressusciter. "Je suis avec toi maintenant", conclut James Ellroy. Définitivement.

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James Ellroy, Ma part d'ombre (Éditions Rivages).

Copyright © Emmanuelle Papazian / republique-des-lettres.fr, Paris, vendredi 23 mai 2008. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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