Michel Reynaud

Deux tomes de 450 pages chacun ont été nécessaires à Michel Reynaud pour réunir dans une anthologie des témoignages écrits et oraux d'anciens déportés des camps nazis, entre 1933 et 1945, recueillis à travers l'Europe et dans certains pays d'Amérique. Un travail de vingt ans pour rassembler récits et documents traduits de 19 langues, pour "que mémoire soit faite, malgré l'ironie du plus jamais ça au regard quotidien de ce qui se passe dans notre monde". Michel Reynaud n'a pas cherché à faire "une leçon d'historien", mais à mettre à la disposition du plus large public un maximum de "dits et écrits" de déportés pour "que l'on puisse tirer un enseignement de cette histoire, de ces témoignages, pour notre vécu au quotidien et pour dire et entendre dire un impossible oubli de cet hier". Un travail de bénédictin a été nécessaire pour retrouver témoins et témoignages, soigner les traductions, afin de conserver toute leur valeur aux documents rassemblés et montrer la diversité des victimes de la déportation. Au hasard des centaines de textes, l'ironie amère de la Norvégienne Sylvia Salvesen dans Soir de Noël: "Ici c'est la répétition des Folies Bergères de l'enfer... Nous pensions que c'était Noël", ou l'aveu bouleversant d'Abraham P.: "Je me suis penché vers mon petit frère en lui disant "Solly, va rejoindre papa et maman". Et comme un petit bonhomme il y est allé. Si j'avais su que je l'envoyais droit au crématoire!"

Pour illustrer l'ouvrage et rédiger une préface, Michel Reynaud a fait appel à des artistes, des écrivains, des dessinateurs, dont beaucoup sont nés après cette période. Nombre d'entre eux n'ont pu dépasser le blocage que leur infligeait le sujet. Ainsi Jacques Weber se déclare "démuni et incapable de conclure" sur un tel sujet, et Anny Duperrey avoue, "désolée et honteuse", qu'elle n'a pu que se "rendre à l'évidence: je ne peux pas écrire sur ce sujet. Je n'en ai pas la force". Quant à Michel Reynaud, pour résumer ses motivations et ce qu'il attend de la publication d'un tel ouvrage, il renvoie au texte du pasteur Martin Niemoller: "Lorsqu'ils sont venus chercher les Juifs, je me suis tu: je n'étais pas juif. Lorsqu'ils sont venus chercher les communistes, je me suis tu: je n'étais pas communiste. Lorsqu'ils sont venus chercher les syndicalistes, je me suis tu: je n'étais pas syndicaliste. Lorsqu'ils sont venus me chercher, il n'y avait plus personne pour protester".

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, dimanche 15 novembre 1998. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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