Ingrid Betancourt

Les services du président colombien Alvaro Uribe ont diffusé aujourd'hui des vidéos saisies sur trois membres présumés des Forces Armées Révolutionaires de Colombie (FARC) capturés à Bogota. L'un de ces enregistrements vidéo montre Ingrid Betancourt en vie. La députée écologiste franco-colombienne enlevée en février 2002 y apparaît affaiblie et amaigrie, ne parlant pas, assise sur un siège en bois dans la jungle, une main enchaînée (voir vidéo ci-jointe). Les autres enregistrements montrent aussi d'autres otages, notamment un ex-sénateur et une douzaine de militaires colombiens ainsi que trois Américains détenus depuis février 2003 par les guérilleros. Des photos et des lettres ont également été saisies, dont une lettre d'Ingrid Betancourt adressée à sa mère Yolanda Pulecio. Très attendue par la famille, cette vidéo est la première preuve de vie d'Ingrid Betancourt depuis plus de quatre ans (la dernière vidéo avait été diffusée en août 2003).

Le Haut Commissaire pour la paix en Colombie, Luis Carlos Restrepo, qui a présenté ces documents à la presse, n'a pas donné de détails sur la façon dont les services colombiens ont capturé les membres des FARC. Il affirme, sans plus de détails ni de preuves, que la vidéo d'Ingrid Betancourt date du 24 octobre dernier.

Nicolas Sarkozy s'est félicité de ce signe de vie d'Ingrid Betancourt, déclarant que cela encourageait la France à redoubler d'efforts pour obtenir sa libération. Il doit s'entretenir très prochainement avec Alvaro Uribe. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s'est également réjoui de la bonne nouvelle, indiquant que la France allait examiner avec attention ces documents et qu'il fallait intensifier les efforts en vue d'une solution humanitaire pour tous les otages retenus en Colombie. Le porte-parole du Quai d'Orsay a cependant délivré parallèlement un message moins diplomatique et quelque peu ingrat en déclarant que "la médiation Chavez, c'est aujourd'hui du passé" [...] "les preuves de vie nous viennent par un canal tout à fait différent". Car, à l'évidence, cette preuve de vie d'Ingrid Betancourt n'a pas été obtenue par Alvaro Uribe mais bien grâce à la médiation du président de la République bolivarienne du Vénézuela, Hugo Chavez, comme le souligne dans un communiqué le Comité de soutien à Ingrid Betancourt. Celui-ci estime à juste titre que la vidéo diffusée aujourd'hui est "la preuve de l'efficacité de la médiation d'Hugo Chavez et de Piedad Cordoba. Indéniablement, leurs efforts ont été payants et couronnés de succès".

Hugo Chavez avait été chargé en août dernier par Alvaro Uribe de négocier un accord d'échange humanitaire de prisonniers avec les FARC. Travaillant entre autres avec la députée colombienne Piedad Cordoba, il s'était très impliqué dans ce dossier de libération des otages des FARC. Il avait rencontré Nicolas Sarkozy à Paris la semaine dernière, sans pouvoir toutefois apporter de preuve formelle de vie d'Ingrid Betancourt, mais il avait expliqué que les FARC donneraient une telle preuve avant la fin de l'année. Curieusement, le lendemain de cette rencontre avec Nicolas Sarkozy, Alvaro Uribe avait brutalement mis fin au mandat de médiation d'Hugo Chavez sous un prétexte vague et peu crédible d'ingérence dans les affaires colombiennes alors que la veille encore, il décrivait la médiation d'Hugo Chavez comme le meilleur espoir de libération des otages. Il semble bien que le président colombien, qui n'a pas obtenu le moindre résultat en plusieurs années de conflit avec les FARC, ait tout simplement court-circuité le leader de la gauche latino-américaine alors qu'il allait peut-être aboutir, pour se poser lui seul en homme capable de maîtriser le dossier et d'apporter enfin les preuves de vie que tout le monde attendait.

Des questions restent aussi en suspens sur le véritable rôle joué par Nicolas Sarkozy. N'est-ce pas une de ses interventions intempestives au lendemain de son arrivée à l'Elysée qui avait déjà déclenché une étonnante décision d'Alvaro Uribe ? Au lendemain de l'appel téléphonique du tout nouveau chef de l'Etat français, le président colombien avait en effet tout à trac décidé de lancer une vaste offensive militaire pour libérer les otages. Rebelotte et nouveau tour de girouette d'Alvaro Uribe au lendemain de la rencontre à Paris entre Nicolas Sarkozy et Hugo Chavez. Il n'est un secret pour personne que Hugo Chavez est l'une des bêtes noires de Nicolas Sarkozy. La presse proche du Chef de l'Etat n'avait d'ailleurs pas manquer de poursuivre avec virulence sa campagne de désinformation contre le président du Vénézuela lors de sa venue dans la capitale française, l'accusant comme d'habitude de populisme, d'autoritarisme et même d'antisémitisme. Ce d'autant plus qu'il a snobé le patronat français et s'est de nouveau permis de brocarder publiquement George W. Bush, ce qui a fortement déplu à l'Elysée. La question que personne ne se pose est: Nicolas Sarkozy ne joue-t-il pas un double jeu dans le dossier de la libération d'Ingrid Betancourt ? Derrière ses déclarations de bonnes intentions pour la famille Betancourt et l'opinion publique, n'aurait-il pas poussé Alvaro Uribe à se débarrasser d'un encombrant Hugo Chavez qu'il hait au moins autant que son ami George W. Bush le hait, qui risquait de lui voler la vedette dans un de ses dossiers diplomatico-humanitaire du domaine réservé, et qu'il convient de toute façon selon lui de discréditer et d'écarter le plus possible de la scène internationale ?

On s'interroge. Et on craint malheureusement le pire dans la suite de l'affaire car on ne voit guère les FARC poursuivre avec Alvaro Uribe les négociations qu'elles avaient entamées avec Hugo Chavez.

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, vendredi 30 novembre 2007. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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