Botho Strauss

Biographie Thomas De Quincey
Thomas De Quincey
De l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts

Éditions de La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0195-4
Prix : 5 euros
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Botho Strauss

Un scandale de plus agite l'Allemagne littéraire. Après Christa Wolf informatrice de la police de RDA et Günter Grass suspecté de regrets douteux en vilipendant la réunification, c'est le tour de Botho Strauss, qui dérange lui aussi la social-démocratie bien-pensante. Lui qui fut la coqueluche de l'avant-garde, qui bouleversa le théâtre allemand...

Dès les années 1970, avec Théorie de la menace et La Soeur de Marlène, les cris béants de l'identité en déroute fondent des récits inquiets dans une langue somptueuse mais minée de l'intérieur. La pièce Kalldewey, Farce, fut en 1982 un succès. Dans un bistrot berlinois, un couple échange des répliques à coup de cravache. Les insultes sifflent pour laver de ses "cochonneries" le sale porc Kaldewey aux phrases puantes. La thérapie de groupe tourne, dès qu'il disparaît, à la nostalgie du guide. puis vintLe Parc, parodie du Songe d'une nuit d'été, dans laquelle le poison d'une oeuvre d'art coule sans espoir de réveil dans les yeux des personnages. Sans compter sept pièces (publiées en France par l'Arche) dont La Tanière, sorte de roman-photo symbolique à Olympie entre un professeur et sa guide. Cette obsession du guide ("Fürher") ne put que mener au roman de formation goethéen : le Jeune homme. Lourde et superbe construction, unissant passé, contemporain et futur. Où l'homme à tête de carpe est "l'essence de tous les allemands", où un gnome a une tête de Baudelaire et d'Hitler mêlés. Sociologie, érotisme, linguistique, sont convoquées pour mener le héros jusqu'à une ville-tour science-fictionnelle.

Congrès ("la chaîne des humiliations") est un récit louvoyant, chaotique, un conte philosophico-érotique. Le héros en est "le lecteur", convié par la voix d'une femme, Hermétia "fée du livre", dans des aventures fantasmatiques, auto-exploratoires, où sado-masochisme intellectuel, fascination et consommation corporelle, confluent en un magnifique kaléidoscope de situations, histoires et symboles...

Dans L'Incommencement, fragments philosophiques, Botho Strauss associe la critique du big-bang (l'univers n'aurait pas commencé) à une esthétique de la "tache", à une narration non linéaire qui permet de mieux exprimer les efflorescences du monde et du moi. Critique des lieux communs, vanité de l'homme dont le regard croit donner un sens au chaos, voila qui fait un stimulant ouvrage, quoique parfois un peu trouble : "Quiconque ne s'est pas battu avec les idées et l'idéomanie n'a pas osé en tant qu'auteur aller au bout de sa passion"...

Et voici le livre fauteur de troubles, Le Soulèvement contre le monde secondaire. Peut-on entendre et approuver: "il est répréhensible, sans aucune restriction, de s'en prendre aux étrangers; il est répréhensible de laisser entrer, sans souci du lendemain, des hordes de gens que l'on ne peut loger ni accueillir. Aujourd'hui comme hier, les Allemands sont prêts à tous les forfaits, comme ils sont prêts à se repentir et à s'indigner du forfait qu'ils auront commis". Botho Strauss n'a peut-être pas tort quand il se demande si la tolérance envers les autres peuples et les immigrés est authentique ou commandée en partie par une hypocrisie. Est-elle un idéalisme fabriqué ? Mais est-ce bien clair d'imputer, comme un le Pen, la responsabilité d'une future guerre civile à l'immigration ?

Et Botho Strauss de clamer "le type allemand", ce type qui serait perdu sous les pseudos de la démocratie libérale. "être de droite, c'est céder à la puissance supérieure d'un souvenir", nous dit-il. S'il écorche non sans justesse le tableau d'utopies brossé par la gauche, son appel à un "temps mythique" de la droite peut faire frémir. Heureusement "l'homme de droite est aussi éloigné du néo-nazi que le passionné de football l'est du hooligan". Craint-il ou appelle-t-il un "choc culturel avec la germanité" ? Que veut-il dire quand il affiche une nostalgie du "sens du destin" et "des formes du tragique" ? Que sont ces "principes comme désirer servir, ou d'autres de ces vertus prussiennes, dont Hitler pouvait tirer parti" ? Encore heureux qu'il reconnaisse "l'énormité des crimes nazis"...

Certes, il est lassé de "l'information-spectacle", de la bonne conscience facile de ceux qui n'ont pas tiré les leçons de l'utopie collectiviste. Mais faut-il pour cela se référer au philosophe Julius Evola qui, s'il a écrit un superbe Métaphysique du sexe, s'est aussi par ailleurs façonné un idéal traditionaliste et fasciste? faut-il se référer à Gomez Davila, penseur croyant et doctrinaire ? faut-il en appeler à une "communauté de caractère sacré", au "besoin de zèle religieux" ? faut-il avoir la nostalgie de ce que "le racisme et la xénophobie sont des passions culturelles déchues, qui à l'origine avaient un sens sacré créateur d'ordre" ? Et ce ne sont là qu'échantillons tirés du "Le Chant tragique monte".

Botho Strauss dit se défier, dans un essai post-face au livre de George Steiner Réelles présences, du "déchaînement du fondamentalisme religieux". Mais , alors que Steiner pose dans son livre nuancé et cultivé la question de la transcendance possible dans l'art et dans le monde, Strauss change ce questionnement en "manifeste" marteau-pilon. Il vilipende "le monde secondaire", entendez les lectures diverses, critiques, biographiques, marxistes, psychanalytiques, etc., qui avec les déconstructionnistes parasitent et parfois castrent les oeuvres. Cela pour affirmer "un sens indubitable auquel il n'est pas d'accès rationnel et qui témoigne de la présence réelle, de la présence du dieu-logos". Botho Strauss veut-il nous asservir sous un sens préconçu et théologique de la destinée humaine ? N'a-t-il fui le goulag des utopies étatisées que pour choir dans la réaction fascisante et le goupillon ?

Ce "manifeste" confus, outré, douteux, mérite malgré parfois quelques lueurs de raison à méditer, d'être repoussé. Mais que serait le monde où le soupçon de politiquement incorrect annihilerait une oeuvre entière ? où le délit d'opinion vaudrait interdiction de figurer. Il serait sans doute dommage, une fois averti, de ne pas retourner s'émouvoir et se vivifier de la richesse de ses autres livres et pièces de théâtre.

Copyright © Thierry Guinhut / republique-des-lettres.fr, Paris, samedi 01 juin 1996. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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