Ni Putes Ni Soumises

Ni Putes Ni Soumises

Le mouvement Ni Putes Ni Soumises tient ce week-end (9, 10 et 11 novembre) à Dourdan sa cinquième université d'automne, dédiée au prix Nobel de la Paix 1991 Aung San Suu Kyi, sur fond de crise. Entre conférences et tables rondes sur "la laïcité", "le sexisme en milieu scolaire" ou encore "le nouveau combat féministe" et les rencontres avec des invités comme l'écrivaine bangladeshi Taslima Nasreen ou le Secrétaire nationale du PS Malek Boutih, le débat risque surtout de tourner autour de l'hémorragie de militants et du vent de fronde qui souffle sur NPNS.

Vingt-six des quelque cinquante comités locaux de l'association fondée par Fadela Amara ont en effet démissionné collectivement à trois jours de la rencontre, dont ceux de Marseille, Montreuil et Grenoble. Dans un communiqué, les démissionnaires, déjà troublés par l'entrée de Fadela Amara dans le gouvernement Fillon -- elle a été nommée en juin 2007 Secrétaire d'Etat chargée de la Politique de la ville auprès de la ministre du Logement et de la Ville Christine Boutin -- accusent leur actuelle direction, composée notamment de Sihem Habchi, présidente par intérim, et de Mohammed Abdi, tout à la fois Secrétaire général de l'association et Conseiller spécial auprès de Fadela Amara, d'être purement et simplement inféodée à la fois à la droite sarkozyste au pouvoir et à des organisations satellites du PS comme SOS-Racisme (ce n'est pas incompatible). Ils avancent trois raisons à leur coup d'éclat qui pourrait bien signer à court terme la mort de Ni Putes Ni Soumises: d'abord le manque d'indépendance politique, ensuite le fonctionnement non démocratique de l'association, enfin un manque de transparence financière. Les comités frondeurs estiment que Sihem Habchi, Mohammed Abdi et Fadela Amara (qui a quitté son poste de présidente mais reste toujours membre du Conseil d'Administration), pris dans les filets de l'ouverture sarkozyste, n'ont "pas été capables de définir une ligne politique claire et indépendante" à Ni Putes Ni Soumises. Ce d'autant plus que le gouvernement Fillon / Sarkozy mène une politique totalement contraire aux actions qu'ils jugent nécessaires sur le terrain (voir par exemple la création du très controversé Ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, pas vraiment populaire chez les jeunes blacks et beurs des cités). Ils leurs reprochent également de ne pas tenir les engagements fixés lors du Conseil National de juin dernier et d'être responsables de certains dysfonctionnements institutionnels et financiers, d'ailleurs pointés par un commissaire de la Cour des comptes, comme par exemple la désignation d'une trésorière factice ou encore la mise à l'écart systématique de toute voix dissonante au sein du mouvement. Enfin, beaucoup pensent que l'ambitieuse Fadela Amara a utilisé l'association Ni Putes Ni Soumises à des fins personnelles, essentiellement pour devenir une star des médias et faire carrière dans les palais gouvernementaux. "Nous ne pouvons plus tolérer le mépris et la dérive idéologique de l'actuelle direction qui ne cesse de tourner le dos aux idéaux que nous avons toujours défendu par le passé", écrivent-t-ils, ajoutant qu'ils envisagent de poursuivre leur combat "mais sous une autre bannière que celle de Ni Putes Ni Soumises".

Pour la nouvelle présidente d'origine algérienne Sihem Habchi, qui estime que 80% des comités locaux répond toujours présent, "il n'y a pas de crise" et "le combat continuera" sans les absents. Reste qu'un malaise profond existe au sein de Ni Putes Ni Soumises, dont les militants sont très mal perçus au sein des populations, y compris féminines, que le mouvement prétend représenter et défendre. Depuis sa fondation, l'association fait l'objet de vives critiques dans les banlieues, au point même de devoir cacher le logo NPNS lors des manifestations afin de ne pas se faire huer, voire d'être expulsée des cortèges.

Le mouvement Ni Putes Ni Soumises est né au début des années 2000 des groupes de travail sur les violences faites aux femmes dans les quartiers, organisés par Fadela Amara, alors présidente de la Fédération nationale des Maisons des Potes, organisation proche de SOS-Racisme. L'association a été créée officiellement en février 2003, dans la continuité de la "Marche des femmes contre les ghettos et pour l'égalité" qui a eu lieu en février-mars 2003 dans toute la France, très largement médiatisée après la conjonction de deux évènements sur-exploités par NPNS: celui de la jeune Sohane Benziane, brûlée vive dans un local à poubelles par un beur d'une cité de Vitry-sur-Seine, et la publication du livre bouleversant de Samira Bellil, Dans l'enfer des tournantes, témoignage sur les viols qu'elle a subis. Revendiquant des valeurs féministes, républicaines et laïques, l'objectif de Ni Putes Ni Soumises est de lutter dans les banlieues pour les droits des femmes et contre les violences en tous genres qu'elles subissent (viols, misogynie, discriminations, racisme, antisémitisme, atteintes à la mixité, mariages forcés, pressions patriarcales, etc...). Forte du soutien des médias et du monde politique, l'association Ni Putes Ni Soumises s'est ensuite organisée en une soixantaine de comités locaux en France et à l'étranger (Belgique, Espagne, Suède et Suisse). Elle compte aujourd'hui officiellement quelque 8.000 adhérents. Le financement provient en grande partie de subventions publiques.

Mais pour de nombreux observateurs, Ni Putes Ni Soumises se révèle plutôt comme une organisation en trompe-l'oeil dont la popularité a été créée artificiellement par les médias et l'establishement politique. Ses discours de défense du métissage social ainsi que sa promotion d'un nouveau féminisme "mixte" et "laïque" basé sur "l'égalité" et "le respect", sont en réalité un faux nez qui contribue au contraire à renforcer la discrimination dont sont victimes les jeunes des quartiers. Dans les faits, Ni Putes Ni Soumises, du moins certains de ses leaders comme Fadela Amara obsédés par les questions sécuritaires et l'islamisme (au point d'être traités d'islamophobes par certains), sont à l'évidence coupés du terrain, politiquement opportunistes, et semblent plutôt se consacrer à stigmatiser les jeunes des cités issus de l'immigration en les présentant globalement comme des délinquants antisémites et machistes. Pour Houria Bouteldja, qui a fondé le collectif féministe Les Blédardes en réaction à Ni Putes Ni Soumises avant de s'engager dans le mouvement antiraciste Les Indigènes de la République, NPNS n'est qu'un appareil idéologique d'État néo-colonial instrumentalisant la cause des femmes. C'est sans doute ce qui fait le succès de Fadela Amara auprès de certains responsables politiques, de gauche comme de droite, dont notamment Nicolas Sarkozy qui l'utilise en symbole de sa politique dite "d'ouverture".

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, vendredi 09 novembre 2007. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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