Mohamed El Baradei

Mohamed El Baradei

Alors que l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique (AIEA, chargée par le Conseil de sécurité des Nations unies de surveiller le programme nucléaire iranien) a repris lundi 29 octobre les négociations avec le Conseil Suprême de Sécurité Nationale de l'Iran (CSSNI), son directeur général, Mohamed El Baradei, a répété qu'il n'avait à ce stade aucune preuve que la République islamique d'Iran cherchait à se doter d'une bombe atomique. "Avons-nous vu en Iran les éléments nucléaires qui peuvent être rapidement transformés en arme ? Non. Avons-nous vu un programme actif de militarisation du nucléaire ? Non", a déclaré sur CNN le directeur de l'AIEA. Avouant être très inquiet des préparatifs militaires américains autour du golfe Persique et mettant en garde contre le "désastre" que représenterait une attaque contre l'Iran, il estime, citant les estimations des américains eux-mêmes, que "Nous avons le temps, car même si l'Iran essayait de produire une arme nucléaire il lui faudrait encore plusieurs années avant d'y parvenir". Pour lui, la solution de ce dossier réside dans la négociation et dans les inspections de la communauté internationale afin de contrôler le programme nucléaire civil iranien. "Nous ne pouvons pas continuer à verser de l'huile sur le feu", a-t-il conclu.

Ces déclarations ont immédiatement provoqué l'ire des trois pays — Israël, Etats-Unis et France — qui ne rêvent que d'aller bombarder l'Iran au risque de déclencher une troisième guerre mondiale. Washington a réaffirmé que l'Iran cherchait bien à se doter de l'arme nucléaire et a suggéré que Mohamed El Baradei se mêle de ses affaires. Pour la porte-parole de Maison Blanche Dana Perino, si l'Iran "enrichit et convertit l'uranium [...] c'est pour se doter de l'arme nucléaire", et pour le porte-parole du Département d'État des États-Unis Sean McCormack, Mohamed ElBaradei n'est que le chef d'une agence technique or "ce sont les Etats membres de la communauté internationale qui décident de la diplomatie à mener". Avigdor Lieberman, ministre des Affaires stratégiques d'Israël, estime pour sa part que Mohamed El Baradei tente par tous les moyens de "blanchir et de justifier" le programme nucléaire iranien. Il n'hésite pas à accuser le Prix Nobel de la Paix 2005, égyptien, d'être favorable au "monde islamique" et prédit que "la preuve qu'ElBaradei cherche est le champignon atomique que chacun pourra bientôt voir dans le ciel". Le ministre français de la Défense, Hervé Morin, en déplacement à Abou Dhabi, a lui aussi immédiatement contredit El Baradei, affirmant que "Nos renseignements, corroborés par ceux d'autres pays, nous donnent le sentiment contraire". Il demande à l'Iran de suspendre son programme d'enrichissement d'uranium et d'ouvrir toutes grandes les portes de ses centrale nucléaires, réaffirmant le souhait déjà exprimé par Nicolas Sarkozy de voir l'ONU et l'Union Européenne adopter de nouvelles sanctions financières et diplomatiques contre le pays de Mahmoud Ahmadinejad.

Mohamed El Baradei — de même que Hans Blix, à l'époque directeur des inspecteurs de l'ONU — s'était déjà opposé en 2003 à George W. Bush. Pour justifier une intervention militaire contre l'Irak, les Etats-Unis, via Colin Powell et Donald Rumsfeld, n'avaient pas hésité à le discréditer et à mentir devant le Conseil de sécurité de l'ONU en affirmant que l'Irak de Saddam Hussein disposait d'armes de destruction massive, ce qui s'est révélé totalement faux une fois l'Irak envahi. L'administration Bush avait ensuite, en vain, tenté d'empêcher sa réélection à la tête de l'agence en janvier 2005.

Mohamed El Baradei doit remettre le 12 novembre prochain son rapport sur l'état du programme nucléaire iranien. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie) doivent ensuite se réunir le 22 novembre pour décider ou non d'une troisième volet de sanctions contre l'Iran. Un compte rendu du Haut représentant de l'Union Européenne, Javier Solana, est également attendu par les grandes puissances. Le directeur adjoint de l'AIEA, Olli Heinonen, est actuellement à Téhéran avec des experts pour obtenir des éclaircissements sur le programme développé à la centrale de Natanz (province d'Ispahan), où sont installées 3000 centrifugeuses P1 et P2 destinées à enrichir de l'uranium. Les autorités iraniennes souhaitent y installer 2.000 nouvelles centrifugeuses afin de faire face aux besoins en énergie du pays. Un accord entre l'AIEA et l'Iran est intervenu le 21 août dernier en vue de faire toute la lumière sur ce programme et Mohammed El Baradeï a invité l'Iran à faire preuve de "transparence" sur le sujet. L'Iran assure que ses activités nucléaires sont pacifiques et entend continuer son programme d'enrichissement d'uranium, malgré deux séries de sanctions infligées en décembre 2006 et en mars 2007 par le Conseil de sécurité de l'ONU sous la pression des Etats-Unis. La Chine et la Russie ont déjà plus ou moins indiqué qu'elles s'opposeraient à une troisième résolution. À l'instar d'Israël, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne veulent eux stopper par tous les moyens le programme nucléaire iranien et emploient de plus en plus une rhétorique guerrière, George W. Bush prédisant même un "holocauste nucléaire" pendant que Nicolas Sarkozy déclarait que ce serait "la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran".

Mohamed El Baradei a par ailleurs indiqué que 439 réacteurs nucléaires étaient actuellement opérationnels dans 30 pays, dont la moitié dans des pays en développement, fournissant ensemble plus de 15% de l'énergie mondiale. La plupart de ces pays ont la capacité, et la motivation, de développer des armes nucléaires dans un délai très bref. L'AIEA apporte assistance et expertise dans le domaine nucléaire à 77 Etats Membres, dont 29 — tels entre autres l'Egypte, avec l'accord des Etats-Unis — envisagent un programme d'énergie nucléaire. Plusieurs pays comme Israël, l'Inde, la Corée du Nord et le Pakistan, qui n'ont pas voulu signer le Traité de Non Prolifération nucléaire, se sont même déjà dotés de l'arme nucléaire, sans aucun contrôle ni sanctions de la part de la communauté internationale.

Copyright © A. M. Levy / La République des Lettres, Paris, mardi 30 octobre 2007. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite. Les citations brèves et les liens vers cette page sont autorisés.

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