Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration

Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration

La Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration (CNHI), premier musée national consacré à l'immigration dans l'Histoire de France, a ouvert ses portes au public mercredi 10 octobre. Ouverture discrète, sans inauguration officielle, tous les "officiels", du président de la République Nicolas Sarkozy au Premier ministre François Fillon, en passant par les quatre ministres de tutelle — celui de l'Immigration Brice Hortefeux, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Valérie Pécresse, de l'Education nationale Xavier Darcos et de la Culture Christine Albanel — ayant autre chose à faire que d'inaugurer ce musée voulu par Jacques Chirac.

Ouverte donc sans tambours ni trompettes, la Cité de l'Histoire de l'Immigration n'en sort pas moins des limbes dans un climat de tension et de polémiques sur le racisme de l'équipe au pouvoir. Il y a tout d'abord celle sur la politique migratoire de Brice Hortefeux, l'une des plus dures jamais menées en France contre les immigrés. Les lois et tracasseries administratives ne cessent de se multiplier contre ces derniers et on assiste régulièrement depuis quelques mois à de véritables rafles, y compris juqu'aux portes des écoles, et à de nombreux drames d'étrangers sans-papiers qui se tuent en voulant échapper à la police. Dans la énième loi sur l'immigration votée cette semaine au Parlement par la majorité de droite, outre la question de l'accès des sans-papiers interdits d'hébergement d'urgence, il y a aussi et surtout le très controversé amendement du député UMP Thierry Mariani sur le recours à des tests ADN pour les candidats au regroupement familial, amendement d'instrumentalisation de l'immigration que même la secrétaire d'Etat à la Politique de la ville Fadela Amara touve "dégueulasse". Plus récemment encore, après l'énorme bourde néo-raciste de Nicolas Sarkozy qui, lors d'un entretien avec le philosophe Michel Onfray pendant la campagne présidentielle, avait fait siennes les théories eugénistes sur le déterminisme génétique, c'est l'un des plus proches conseillers du chef de l'Etat, Henri Guaino, qui est accusé ni plus moins de "racisme" par un autre philosophe, Bernard-Henri Lévy. Bref, tout un ensemble de faits et de propos qui inquiètent de nombreux intellectuels et observateurs, pas seulement de gauche, et de plus en plus de français qui estiment que la politique sarkozyste menée contre les étrangers est contraire aux valeurs de la société française et applique de façon un peu trop zélée les volontés exprimées par l'Extrême-droite raciste de Jean-Marie le Pen.

Pour Patrick Weil, historien directeur de recherche au CNRS, l'absence de Nicolas Sarkozy et du gouvernement pour inaugurer la Cité de l'Histoire de l'Immigration a quelque chose d'un peu "choquant" car c'est un musée "qui concerne l'histoire de 20 à 25% de la population française". Il estime que la CNHI "montre l'apport de l'immigration à l'égard de la France" alors que le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale est lui "un signal de méfiance à l'égard de l'immigration". Selon lui, le gouvernement actuel "est mal à l'aise avec un projet historique qui rapporte des faits qui se sont produits, plutôt que des préjugés". Gérard Noiriel, l'un des historiens à l'origine du projet, pense lui aussi que "la CNHI a pour vocation de changer le regard sur l'immigration, et ça, ça coince au sommet de l'Etat. Quand on entend les discours affligeants sur l'immigration-problème, et dans ce climat de suspicion systématique envers les immigrés, c'est une victoire pour la CNHI qu'il n'y ait pas d'inauguration officielle", déclare-t-il, ajoutant que "Notre discours, qui est de montrer les apports de l'immigration n'est pas celui de la suspicion généralisée de l'immigrant avec l'instauration de tests ADN". Mouloud Aounit, président du Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP), estime pour sa part qu'il s'agit "d'un refus manifeste de reconnaître l'apport de l'immigration au patrimoine historique et culturel français". [...] "En cette période où il y a une parole visant à stigmatiser, à faire porter la suspicion sur les immigrés, cette attitude du gouvernement sonne aussi comme un gage donné à l'extrême-droite, elle sonne comme une victoire supplémentaire de l'extrême-droite sur l'immigration en France". Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, s'est rendu très tôt au musée où il a retrouvé François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste. Pour lui, "alors que l'enjeu de la Cité est celui d'un rassemblement tourné vers l'avenir autour d'une histoire commune, la politique gouvernementale divise la France et alimente la tentation de faire de l'étranger le bouc émissaire". Enfin plusieurs associations de défense des immigrés, dont la Ligue des Droits de l'homme (LDH) et le Réseau Education sans frontières (RESF), ont elles convié le public à une "inauguration citoyenne" de la Cité.

Initié en 1989 par un élu immigré algérien, Zaïr Kedadouche, et soutenu au départ par des historiens de renom tels Pierre Milza et Gérard Noiriel, le projet de la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration a longtemps traîné dans les tiroirs avant d'être déterré en avril 2002 par le Président de la République Jacques Chirac, puis mis en chantier en 2004 par le Premier ministre de l'époque, Jean-Pierre Raffarin. Chargé de piloter le projet, Jacques Toubon, ex-ministre de la Justice de Chirac et ex-Maire du 13e arrondissement de Paris, a décidé d'installer le musée dans le palais de la Porte Dorée (Paris 12e), construit par l'architecte Albert Laprade pour l'exposition coloniale de 1931. D'une surface de 16.000 m2 et classé au patrimoine architecturale, ce bâtiment a d'abord abrité le Musée des Colonies puis celui de l'Outre-Mer et, jusqu'à l'année dernière, le Musée des Arts africains et Océaniens. Outre les retards et problèmes administratifs divers, le projet de la Cité de l'Histoire de l'Immigration a surtout été marqué récemment par le vent de fronde des chercheurs et historiens de l'immigration qui n'ont pas apprécié la création d'un super-ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, confié par Nicolas Sarkozy à son ami Brice Hortefeux. Jugé comme un gage inquiétant donné aux racistes par le nouveau chef de l'Etat porté au pouvoir par les voix de l'Extrême-droite, huit des douze universitaires impliqués dans le projet scientifique ont démissionné des instances officielles en juillet dernier.

Jacques Toubon, aujourd'hui président de la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration aux côtés de Jean-François Roverato, n'a pas voulu commenter la polémique sur l'absence des hauts représentants de l'Etat à l'inauguration. Faisant visiter le musée à la presse, il s'est borné à en présenter les aspects techniques et la mission: "faire connaître et reconnaître l'apport de l'immigration en France". Il espère y voir un jour Nicolas Sarkozy, mais il attend plutôt la visite prévue jeudi matin de Jacques Chirac, véritable initiateur de la CNHI.

    • Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration 293 avenue Daumesnil 75012 Paris, métro Porte Dorée. Exposition permanente Repères sur 200 ans d'histoire de l'immigration en France. Expositions temporaires sur Les réfugiés arméniens au Proche-Orient et en France du 16 octobre au 11 janvier, et Ellis Island du 13 novembre au 13 janvier. Musée ouvert de 10H à 17H30 tous les jours sauf mardi.

Copyright © Jean Bruno / La République des Lettres, Paris, mercredi 10 octobre 2007. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite. Les citations brèves et les liens vers cette page sont autorisés.

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