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La République des Lettres

Abdelkébir Khatibi

Abdelkébir Khatibi
Triptyque de Rabat

La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0122-0
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
Disponible chez • AmazoniTunes

Nicolas Sarkozy

Nicolas Sarkozy

Les dirigeants du monde se sont réunis à New York pour une petite semaine de discours diplomatique à la tribune de l'Organisation des Nations Unies.

Pour Nicolas Sarkozy -- désormais désigné de plus en plus souvent dans la presse étrangère comme "l'américain", ou encore "le petit Napoléon" --, c'est la première intervention devant cette Assemblée générale de l'ONU, 62e du genre, où se rencontrent une centaine de chefs d'Etats et de gouvernements. C'est l'occasion pour le nouveau président français amateur de sunlights de satisfaire ses vices, c'est-à-dire se placer devant les caméras du monde entier, cotoyer les puissants de ce monde et faire parler de lui. Ce d'autant plus que la rencontre se déroule en pleine crise internationale sur le nucléaire iranien et que, après ses déclarations va-t-en-guerre -- la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran -- c'est sa modeste personne elle-même qui présidera mardi matin une séance spéciale du Conseil de sécurité consacrée à "l'Afrique face aux défis de la paix et de la sécurité internationale", en présence de George W. Bush et du secrétaire général de l'ONU Ban Ki Moon.

Auprès donc de son meilleur ami, le président américain George W. Bush, et face à son meilleur ennemi, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, Nicolas Sarkozy parlera entre autres de réchauffement climatique -- l'objectif de Ban Ki Moon est de mobiliser la communauté internationale sur cette question avant l'ouverture prochaine de négociations sur l'après protocole de Kyoto -- mais surtout des dossiers chauds où il tente d'imposer de toute la hauteur de ses 1m58 ses points de vue en matière de diplomatie et de relations internationales, c'est-à-dire essentiellement les points de vue de George W. Bush et Ehud Olmert.

Depuis l'arrivée au pouvoir de l'hyperprésident atlantiste, la diplomatie française s'est en effet alignée toute entière sur celle des Etats-Unis, où plus exactement sur les pires positions du néo-conservateur réactionnaire et fauteur de guerre George W. Bush.

Le très complexe dossier du Darfour a par exemple été propulsé cause sarkozyste prioritaire, comme tout dossier international où il est possible de guerroyer contre des islamistes sous couvert de politique humanitaire et de droits de l'Homme, alors que les véritables enjeux sont eux généralement beaucoup plus bassement politiques et économiques. Nicolas Sarkozy et son ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner se sont démenés tout l'été pour inciter la communauté internationale à déployer au Soudan une force mixte ONU-Union Européenne, composée notamment d'un fort contigent de soldats français, appuyée en 2008 par celle de l'ONU-Union Africaine, afin de protéger les victimes civiles de cette guerre où 200.000 personnes ont trouvé la mort depuis 2003.

Paris tente également de faire adopter une résolution autorisant le recours à la force au Soudan. Pour la plupart des experts sérieux et des organisations humanitaires présentes sur le terrain, telle entre autres Human Rights Watch, l'initiative est malheureusement bien trop tardive et inutile. Elle risque même de compliquer les choses en relançant des violences actuellement calmées, par exemple entre rebelles tchadiens et centrafricains, et en créant un bourbier pour les soldats onusiens. Les rebelles tchadiens ont déjà averti l'Europe; pour eux les "initiatives françaises visant à transformer les troupes françaises au Tchad en une force européenne" mènent directement "à un conflit avec nos forces armées". Pour les observateurs, cette opération sarkozyste au Darfour est donc surtout un écran de fumée cachant en réalité la véritable guerre de contrôle économique et d'influence politique que se livrent sur le dos de la région les Etats-Unis et la Chine, soutien du régime de Khartoum. En poussant à l'occupation militaire du Soudan et de son ancien pré carré africain (Tchad et Centrafrique) via les troupes européennes de l'ONU, la France apporte un soutien stratégique manifeste aux Etats-Unis.

L'Iran, cet État "de l'axe du mal" selon Bush, est l'autre principal dossier brûlant où Nicolas Sarkozy veut à tout prix intervenir -- c'est ce qu'il appelle "le retour de la France sur la scène internationale". Depuis que Mahmoud Ahmadinejad a décidé de développer un programme nucléaire civil pour son pays, suscitant les craintes d'Israël qui y voit "une menace existentielle", George W. Bush, Ehud Olmert et Nicolas Sarkozy ne cessent d'appeler la communauté internationale à punir le président iranien par des sanctions de plus en plus lourdes. Les trois va-t-en-guerre -- dont deux ont déjà montré récemment de quels désastres stratégiques et humanitaires ils étaient capables en Irak et au Liban -- laissent lourdement planer la menace d'une attaque militaire contre l'Iran, quitte à déclencher une terrifiante troisième guerre mondiale.

Outre une diabolisation à outrance de Mahmoud Ahmadinejad auprès de l'opinion publique mondiale, le président américain accuse de plus en plus agressivement Téhéran de soutenir tous les terroristes islamistes de la planète et surtout d'armer les milices chiites irakiennes, n'hésitant plus à employer le terme de "guerre par procuration". Des plans de bombardement de l'Iran ont été établis par les état-majors militaires américains et israéliens et l'armée US commence depuis quelques semaines à répartir ses troupes et à établir des bases dans toute la région en vue d'un tel conflit. Mahmoud Ahmadinejad et l'ayatollah Ali Khamenei, actuel Guide suprême de la révolution islamique, ne sont pas en reste en matière de menaces et ont mis leurs ennemis en garde contre toute attaque militaire de l'Iran. La semaine dernière, ils ont fermé leur frontière avec la région du Kurdistan irakien à la suite de l'arrestation d'un diplomate iranien, le cinquième emprisonné par les américains depuis le début de l'année sous l'accusation d'aide aux insurgés irakiens. À l'occasion des commémorations de la guerre Iran-Irak (1980-1988), ils ont aussi largement diffusé les images d'un impressionant défilé militaire et exposé un nouveau missile, le Ghadr-1, d'une portée de 1.800 km, donc capable d'atteindre Israël et les bases américaines dans tout le Proche-Orient.

Dans ce contexte de tensions croissantes, Mahmoud Ahmadinejad est arrivé dimanche à New York, provoquant une vive polémique sur sa présence dans le pays de l'Oncle Sam et l'opportunité de lui offrir une telle tribune médiatique. Mais l'ONU siègeant à New York, les Etats-Unis sont tenus de délivrer un visa à tous les membres de l'Assemblée générale et de les laisser s'exprimer. Des manifestations hostiles ont été organisées par les associations juives devant l'ONU et les médias n'ont pas manqué de le vilipender avec une rare virulence, le quotidien Daily News allant jusqu'à titrer "Le Diable a débarqué".

Présenté comme un suppôt du terrorisme international et un nouvel Adolf Hitler dont l'objectif serait d'atomiser Israël et l'Occident dans un immense "holocauste nucléaire", la presse tabloïd américaine l'a accusé de toutes les habituelles monstruosités découlant de traductions occidentales tronquées, notamment sur ses supposés négations de l'Holocauste et autres appels à "rayer Israël de la carte". La ministre israélienne des Affaires étrangères Tsipi Livni, également présente à New York, a elle aussi sans surprise dénoncé la venue du président iranien, déclarant que "dans un monde normal", il ne devrait pas être membre des Nations unies ni avoir l'autorisation de voyager aux USA. Pour elle, c'est "une honte pour l'Onu et pour le monde". Quant à la municipalité de New York, elle lui a purement et simplement interdit "pour des questions de sécurité" l'accès à Ground Zero, le site du World Trade Center détruit par les attentats du 11 septembre où il souhaitait déposer une gerbe en hommage aux victimes. "C'est un homme qui a menacé l'Amérique et Israël, qui abrite le fils de Ben Laden et d'autres leaders d'Al-Qaeda, qui fournit des armes aux insurgés irakiens et qui développe des armes nucléaires. L'aider à faire du tourisme à Ground Zero, un endroit sacré pour tous les Américains, serait insultant", avait déclaré dès la semaine dernière Rudy Giuliani, maire de New York lors des attentats et candidat à l'investiture du Parti républicain pour la prochaine élection présidentielle.

Mahmoud Ahmadinejad a cependant pu parvenir à s'exprimer sur la chaîne CBS et à l'Université de Columbia, où il a répété que le programme nucléaire iranien était un programme civil qui n'avait aucune fin militaire. "Notre programme est transparent, nous sommes sous la supervision de l'AIEA et nous n'avons rien à cacher", a-t-il expliqué, précisant que "nos activités sont très pacifiques", que "l'Iran ne s'acheminait pas vers une guerre avec les États-Unis" et n'avait "pas besoin d'une bombe nucléaire". Devant le National Press Club de Washington, et après avoir rencontré les responsables du Neturei Karta International (un groupe juif orthodoxe anti-sioniste), il a déclaré que l'Iran refuse de reconnaître l'Etat d'Israël car il s'agit d'un pays basé "sur l'occupation et le racisme", [...] "qui attaque constamment ses voisins". S'en prenant aux Etats-Unis, il a également dénoncé la politique menée par le gouvernement américain qui "cherche à diriger le monde". Selon lui les Etats-Unis emploient une très mauvaise méthode, qui "débouche sur la guerre, la discrimination et l'effusion de sang". Mardi 25 septembre Mahmoud Ahmadinejad montera à la tribune de l'ONU pour y exposer les "positions du peuple iranien" avant de partir le lendemain pour le Vénézuéla où il a été invité par le président Hugo Chavez. Celui-là même qui, l'année dernière, avait utilisé le podium onusien pour faire rire le monde entier en traitant George W. Bush de diable, de malade et d'alcoolique tout en effectuant le signe de la Croix.

Juste après sa fameuse déclaration où il indiquait qu'il fallait "se préparer au pire, le pire étant la guerre", Bernard Kouchner s'était lui aussi rendu depuis déjà plusieurs jours aux Etats-Unis où, du Pentagone à la Maison Blanche, il a préparé le terrain à Nicolas Sarkozy, rencontrant notamment son homologue Condoleezza Rice, le secrétaire américain à la Défense Robert Gates, le conseiller présidentiel à la sécurité nationale Stephen Hadley, ainsi que les principales organisations juives américaines. Concernant l'Iran, "il n'y a pas de différence dans la façon dont nous évaluons la situation et sur ce que la communauté internationale doit faire", a déclaré Condoleeza Rice à l'issue du rendez-vous avec l'ancien French Doctor juif. Même s'ils affirment privilégier le dialogue et la diplomatie, tous ces "responsables" sont en réalité de farouches partisans d'une attaque dite "préventive" contre l'Iran et il ne fait plus aucun doute que Nicolas Sarkozy se prépare à les suivre, voire à les devancer. Malgré de vagues dénégations écartant l'option d'un recours à la force contre l'Iran et la promesse de ne plus utiliser le mot "guerre" -- un mot qui fait toujours peur au peuple avant qu'on le pousse à la faire --, toute la rhétorique sous-jacente de ses discours et toute son action plus que zélée en matière diplomatique indiquent clairement que l'hyperprésident qui décide de tout tout seul a déjà décidé d'engager la France dans le sillage des Etats-Unis et d'Israël contre l'Iran, comme il l'aurait à coup sûr engagée contre l'Irak s'il avait été au pouvoir en 2003 à la place de Jacques Chirac (et Bernard Kouchner à la place de Dominique de Villepin).

Heureusement pour Paris, plusieurs des 27 pays membres de l'Union Européenne, dont l'Allemagne d'Angela Merkel, commencent à trouver le président français un peu trop excité sur la question iranienne et prennent quelques distances avec ses options guerrières. Ils préfèrent se fier pour l'instant à Mohamed el-Baradei, responsable de l'Agence Internationale pour l'Énergie Atomique (AIEA), qui n'a à ce jour rien de grave à reprocher à l'Iran en matière d'activités nucléaires. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie) doivent eux se réunir à Washington la semaine prochaine pour discuter de nouvelles sanctions proposées par les Etats-Unis et poussées à la roue par la France, après celles déjà décrétées par le Conseil de sécurité en décembre 2006, puis en mars 2007. La Chine et la Russie ont déjà plus ou moins indiqué qu'elles s'y opposeraient, suivant ainsi Mohamed el-Baradei qui suggère d'attendre la fin de l'année avant de poursuivre l'escalade des sanctions contre l'Iran si son programme nucléaire s'avérait menaçant.

Du coup, un tantinet vexés, Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner proposent eux de prendre des sanctions seuls, hors cadre de l'Union Eurropéenne et de l'ONU, en essayant d'entraîner avec eux d'autres pays "solidaires", comme le faisait en son temps contre l'Irak l'ancien caniche européen de George W. Bush, Tony Blair.

Pour tous les autres dossiers diplomatiques chauds, les néo-cons de Washington et de Paris se retrouvent également sur la même longueur d'onde, que ce soit à propos de l'Irak, du Liban, de la Syrie, et bien entendu du conflit israélo-palestinien. Même si la diplomatie sarkozyste ne s'exprime pas de façon trop agressive sur ce dernier dossier -- ses nouveaux amis lui ayant conseillé de préserver ce qui reste d'influence de la France auprès des pays arabo-musulmans pour mieux pouvoir intervenir auprès d'eux -- tous les réseaux français oeuvrent en sous-main pour soutenir les positions de George W. Bush et d'Ehud Olmert dans la conférence de paix sur le Proche-Orient qui doit se tenir en novembre prochain. Nicolas Sarkozy, qui a "la réputation d'être un ami d'Israël, et c'est vrai" (discours du lundi 27 août lors de la Conférence annuelle des ambassadeurs à l'Elysée) n'a toutefois pas pu se retenir de fustiger officiellement "la création d'un Hamastan dans la bande de Gaza".

Enfin, selon le porte-parole de l'Elysée David Martinon, outre les questions du Darfour, de l'Iran et du Proche-Orient, Nicolas Sarkozy devrait répéter à l'ONU les propositions qu'il a déjà formulées lors de la conférence des ambassadeurs, à savoir rien moins que la création d'un "nouvel ordre planétaire", en intégrant notamment l'Allemagne, le Japon, l'Inde, le Brésil et l'Afrique au Conseil de sécurité et en transformant le G8 en G13. Tout ce monde bien entendu aligné sur les politiques et les valeurs de l'Empire américain version administration Bush. Il aura aussi des entretiens bilatéraux avec de nombreux chefs d'Etat, dont en particulier le président colombien Alvaro Uribe (le dossier de la libération d'Ingrid Betancourt, otage des Farc, étant une autre des multiples priorités de l'hyperprésident), le président afghan Hamid Karzaï, le président palestinien Mahmoud Abbas (rentré en grâce, mais trop tard, après avoir été longuement ostracisé) et le Premier ministre turc Tayyip Erdogan. Soudan, Iran, Afghanistan, Palestine, Turquie,... Les pays islamistes préoccupent décidément beaucoup Nicolas Sarkozy.

Copyright © Hortense Paillard / La République des Lettres, Paris, lundi 24 septembre 2007. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.

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