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La République des Lettres

Abdelkébir Khatibi

Abdelkébir Khatibi
Triptyque de Rabat

La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0122-0
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
Disponible chez • AmazoniTunes

Nicolas Sarkozy / Mouammar Kadhafi

Nicolas Sarkozy / Mouammar Kadhafi

Ce qui était au départ, sous couvert de France patrie des droits de l'homme et des missions humanitaires, une énième opération de communication à la gloire de Cécilia et Nicolas Sarkozy, est désormais devenu ce qu'il convient d'appeler une affaire d'Etat. Après les déclarations au Monde de Saïf Al-Islam Kadhafi, fils du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, sur les contreparties consenties par la France pour obtenir la libération des infirmières bulgares -- contrat d'armement et extradition par le Royaume-Uni d'Abdalla Senoussi (l'un des coupables de l'attentat de Lockerbie contre le DC10 d'UTA, condamné en 1989 à la prison à perpétuité, par ailleurs beau-frère du colonel Kadhafi et ex-responsable des services secrets lybiens) -- un autre membre du gouvernement lybien a confirmé jeudi 02 août que deux contrats d'armement viennent d'être signés entre la France et la Lybie pour un montant total de 296 millions d'euros. Ces deux contrats de 128 et 168 millions d'euros portent notamment sur l'achat, au consortium franco-allemand d'aéronautique et de défense EADS et à sa filiale MBDA, de systèmes de communication Tetra et de missiles anti-chars Milan. EADS vient également de confirmer que le contrat pour la fourniture de missiles anti-char Milan à la Libye est bien "finalisé", après "18 mois" de négociations, et que l'autre est "en voie de finalisation". Comme l'indiquait Saïf Al-Islam Kadhafi, "l'affaire militaire" était donc bien "le coeur du sujet" entre Paris et Tripoli et la Libye a fait une bonne affaire (un "bon deal") en marchandant auprès de Nicolas Sarkozy ses prisonniers bulgares.

Depuis le début de l'affaire, aussi bien Nicolas Sarkozy que les ministres concernés -- Bernard Kouchner aux Affaires étrangères et Hervé Morin à la Défense, ces derniers apparement bien peu au courant des tractations élyséennes --, ont nié qu'il y ait eu des compensations accordées à la Lybie. "Paris n'a pas accepté de contrepartie pour la libération des infirmières et du médecin bulgare" a notamment déclaré le président de la République tandis que Bernard Kouchner, entendu par la commission des Affaires étrangères du parlement, niait tout versement financier ainsi que tout "accord précis sur des armes". Prié par des journalistes de dire s'il confirmait la signature d'un contrat d'armement entre Paris et Tripoli, Nicolas Sarkozy a de plus répondu: "Non", et à la question de savoir s'il y avait eu une contrepartie à la libération des infirmières bulgares, le chef de l'Etat a répondu: "Aucune". Le porte-parole du président de la République, David Martinon, et Hervé Morin ont pour leur part joué sur les mots. Le premier a déclaré qu'aucun contrat "n'a été signé à l'occasion de la visite de Nicolas Sarkozy" à Tripoli, précisant qu'il n'y avait aucun lien entre la libération des infirmières et les contrats, mais qu'il est cependant stratégiquement nécessaire de relancer la coopération avec la Libye. Interrogé par RTL le second a déclaré qu'il n'y avait pas de contrats "signés formellement" mais qu'il existait une "lettre d'intention" ayant reçu "l'accord" du gouvernement français en février 2007. Bernard Kouchner a aussi avoué finalement qu'il y avait peut-être "d'éventuelles négociations commerciales en cours", ajoutant sans complexe qu'il avait "fait des trucs bien plus illégaux" avec Danielle Mitterrand. Vivement critiqué par ses ex-camarades du Parti Socialiste qui lui reprochent d'avoir été inexistant et confus sur ce dossier, le ministre des Affaires étrangères -- par ailleurs guère brillant sur les autres dossiers internationaux comme entre autres celui du Liban -- a d'ailleurs profité de l'occasion pour rompre définitivement tous les ponts avec la gauche. Pour lui les propos de François Hollande et des autres responsables socialistes à son égard sont des "bouffoneries" et il ne leur "demande pas de le pardonner".

Tous ces mensonges, démentis et dénégations en tous genres de la part de Nicolas Sarkozy et des ministres sont in fine assez vains et contre-productifs pour le nouveau pouvoir puisqu'ils n'ont pas empêché la polémique d'enfler au fil des jours depuis le 25 juillet alors que, au regard du droit international, rien n'interdit à la France de vendre des armes à la Lybie. Depuis la levée en 2004 de l'embargo international imposé par la communauté internationale et ses nouvelles bonnes relations avec les Etats-Unis, le colonel Kadhafi est redevenu un partenaire commercial officiellement fréquentable. Là où le bât blesse concernant Nicolas Sarkozy, c'est d'une part la méthode employée et d'autre part la fracture entre le discours et l'action. Côté méthode, il s'avère à l'évidence qu'il n'a fait que tirer à lui la couverture médiatique, s'affichant aux yeux du monde comme un champion humanitaire alors qu'il n'a fait que conclure des négociations et des marchandages engagés depuis longtemps par d'autres. Ce par ailleurs en inventant pour le bénéfice de son épouse Cécilia Sarkozy une nouvelle forme de diplomatie extrêmement douteuse, sinon dangereuse pour la France. Côté moral, le discours sarkozyste sur une "république irréprochable" et une France symbole de paix et de droits de l'homme est pour le moins en contradiction avec les faits. Le total manque de transparence de toute l'opération et le cynisme qu'il y a à vendre des armements lourds -- ainsi que, dans le cadre d'un contrat sévèrement critiqué par l'Allemagne, un réacteur nucléaire civil qui pourrait très bien évoluer dans le même sens que le nucléaire iranien --, leader jusqu'à peu d'un état terroriste et dictateur notoire auquel personne ne peut faire confiance, ne semblent pas constituer un gage de "rupture" avec la politique menée jusqu'à présent en Afrique par Jacques Chirac ou François Mitterrand.

La gauche, notamment par la voix du secrétaire du parti Socialiste François Hollande qui dénonce "la diplomatie parallèle" menée en solo par Nicolas Sarkozy, n'a pas manqué de pointer les zones d'ombre du dossier et réclame avec insistance un minimum de transparence. "Il y a un vrai problème de méthode. Comment peut-on admettre dans une démocratie que Nicolas Sarkozy voudrait transparente, que ce soit le fils Kadhafi qui nous annonce un contrat d'armement signé, quand le ministère des Affaires étrangères n'en sait rien et que le ministre de la Défense, lui, parle pour le moment d'une lettre d'intention", a déclaré François Hollande avant de réclamer, vendredi 3 août, une commission d'enquête parlementaire pour "faire le clair" sur les négociations entre la France et la Libye. Pour André Vallini, porte-parole du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, "Nicolas Sarkozy est un peu laconique sur le sujet, lui qui aime tellement parler" et il doit "s'expliquer devant les Français". "Tout ça commence à ressembler à une affaire d'État, j'espère que ça ne va pas apparaître comme un mensonge d'État", a-t-il ajouté en visant les dénégations du président de la République. Le député PS de Saône-et-Loire Arnaud Montebourg a également souhaité une réponse du pouvoir exécutif aux "lourdes questions" posées par ces contrats d'armement, "afin de satisfaire à l'exigence de clarté dans les choix diplomatiques de la France, comme à l'exigence de morale tant vantée et annoncée dans les discours de campagne du président de la République". Pour François Loncle, député socialiste de l'Eure et membre de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale, ce dossier ne relève "pas de la Realpolitik mais du cynisme absolu". Le Parti communiste s'interroge sur "le centre de décision en matière de politique étrangère et militaire dans notre pays" et estime pour sa part "urgent et indispensable que l'Elysée apporte des clarifications dans les plus brefs délais".

Copyright © Hortense Paillard / La République des Lettres, Paris, vendredi 03 août 2007. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.

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