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La République des Lettres

Biographie Allemagne, 20 juillet 1944 : L'attentat contre Adolf Hitler

Antoine Raybaud (Collectif sous la direction de)
Allemagne, 20 juillet 1944, L'attentat contre Adolf Hitler

La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0036-0
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
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Allemagne, 20 juillet 1944 : L'attentat contre Adolf Hitler

Allemagne, 20 juillet 1944 : L'attentat contre Adolf Hitler

Nus, désemparés, sans espoir, sans recours possible, des hommes se sont tenus debout sans faillir, devant le pire tribunal de l'Histoire. Sous une torture qui combinait avec recherche et raffinement les méthodes les plus modernes et le retour aux instruments médiévaux les plus barbares, très peu, remarquablement peu d'entre eux ont livré, le moindre nom. Pourtant de 200 à 600 périrent dans des conditions d'une atrocité qui n'avait rien à envier, bien au contraire, aux pires moments de l'Antiquité. Avec en sus, les humiliations morales et psychologiques publiques dont Hitler s'est personnellement délecté. C'était là des officiers, des hommes de religion, des diplomates, des fonctionnaires allemands, souvent descendants des familles les plus illustres. Ceux qui restaient fidèles à l'esprit de la vieille Allemagne aristocratique, chevaleresque et mystique, dont la plupart, sous l'effet de la déferlante soviétique, n'ont compris le piège atroce que trop tard, quand ils se sont aperçus que le rêve psychotique du Grand Reich allait immanquablement entraîner la perte et la destruction de l'Allemagne. Ces hommes du 20 juillet 1944, pour la plupart des chrétiens spiritualistes, libéraux ou conservateurs, venaient le plus souvent de la droite: ni la clandestinité communiste, ni les représentants des Alliés, auprès desquels ils avaient pourtant tenté désespérément et en vain de trouver un appui, n'ont voulu entendre parler d'eux.

C'est nus, démunis de tout et abandonnés de tous que ce sont dressés ces hommes dont la plupart étaient des privilégiés, mais qui une fois leurs yeux enfin ouverts sur la nature du régime avec lequel ils avaient un moment fait alliance, se sont comportés en héros et en martyrs. Ainsi, c'est effectivement désemparés, sans espoir et sans recours possible que les hommes du 20 juillet se sont présentés à la barre. En agissant ainsi, par dessus les idéologies et toute foi, ils ont su au sacrifice de leur vie et en mettant en péril leur famille arracher in-extremis ce qui restait de l'honneur de leur pays, et même de celui de l'Europe toute entière, voire du genre humain, de la gueule de la bête.

À une époque où l'Occident, où l'Europe vieillissante avant même de naître, célèbrent non sans une dose certaine d'hypocrisie et trouble ambiguïté l'exploit du Débarquement (lequel pour beaucoup n'éloigna le le cauchemar que pour le remplacer bientôt par d'autres) il est important de ne pas -- de ne plus -- les oublier. Car ils sont, en dehors de toute récupération politicienne possible, ce pur moment de douleur, de lucidité tragique qui fournit de loin le meilleur fondement éthique d'une Europe à venir -- celle où l'on ne cèdera plus jamais aux démons malheureux de la division, de l'expansionnisme messianique. Où l'on saura au moment fatidique se retenir de l'hystérie ethno-nationaliste de compensation. Une Europe où l'on n'obéira plus à l'entendement blessé des tueurs, des revanchards, des marchands de haine. Car, comme l'écrivait dès décembre 1943 Johann Dietrich von Hassell dans son journal: "La rupture totale avec la ligne Hitler est l'élément décisif; ce qui viendra ensuite est de second ordre".

Les hommes et les femmes dont ce dossier veut retenir les noms, dessiner la place, restituer un peu de parole, n'étaient pas tous des conjurés du 20 juillet. Beaucoup sont pourtants morts à la suite de la rafle géante déclenchée par la Gestapo à la suite de l'attentat. Les arrestations, les procès odieux et dérisoires, les exécutions leur ont pourtant conféré la légitimité que, dans d'autres régimes, confère une élection: shadow cabinet, et groupes dans l'ombre, un parlement, des relais d'opinion, des cercles d'humanité et de foi, un état-major d'ombres doublant l'ombre terrible qui exerçait tous les pouvoirs: ils ne voulaient laisser à personne d'autre, et moins que tout aux puissances alliées, le soin de sa liquidation et les formes de son remplacement.

Plus que ne le dit leur titre habituel d'"autre Allemagne", ils sont l'Allemagne. Du misérable nazi Kube, assassiné pour avoir aimé Mendelsohn et Offenbach, et s'être réclamé de Kant et de Goethe, jusqu'aux admirables figures militaires -- comme Claus von Stauffenberg -- ou civiles -- comme Dietrich von Hassell --, c'est l'offense à la tradition et à l'esprit allemand qui les dresse contre Adolf Hitler: la nuit de cristal, les exterminations de Juifs et de Polonais dans les territoires occupés, la substitution à l'État de droit de la cancéreuse prolifération des profiteurs, des bourreaux planqués, des fous et des imbéciles que la SS multipliait à la faveur de l'état de guerre, le paganisme pseudo-nietzschéen au regard des valeurs chrétiennes, l'inculture sauvage qui veut faire table rase de Schiller et de Hölderlin, et de la leçon élitaire de Stefan George, la subversion de l'autorité, la confusion des vraies valeurs de l'armée -- honneur, fidélité, bravoure -- en idéologie menteuse de la SS.

Prises de conscience inégales, sur des bases différentes, à différents moments du temps, dans des cercles plus ou moins éclatés ou isolés: peut en ressortir l'image d'une résistance qui ne serait pas une, et qui n'en serait pas une. Ce n'est pas par hasard si, en Allemagne, les livres sur la Résistance sont extrêmement synthétiques (opposition national-conservatrice, catholique, protestante, militaire, etc.) ou purement chronologiques, ou entièrement personnalisés et vont même jusqu'à suivre, et vont même jusqu'à suivre pour les hommes et les groupes l'ordre alphabétique. Entre partis ou forces politiques effectivement inexistantes, au-delà des "cercles", il faut penser ces oppositions en termes de réseaux: Carl Goerdeler, qui est le leader du seul cercle capable de fournir une alternative politique et gouvernementale de transition crédible, est en relation avec le cercle plus éthique et spirituel de Kreisau, autour du comte H. J. Graf von Molkte, et aussi avec les réseaux militaires, celui du service de renseignements, celui autour de l'état-major de l'armée, et les commandants d'unités combattantes. Il y a des résistances, comme autant de réseaux de réflexion et d'actions, que l'extraordinaire efficacité policière d'un régime (qui utilise avec succès la torture dans les interrogatoires, le recours aux agents doubles, les appels à la délation et les mises à prix des personnes) contraint au secret, et par conséquent au cloisonnement, et qui ne communiquent pas -- sauf, paradoxalement, par la presse, à la faveur des arrestions et des procès: tel attentat, ou la décapitation -- au double sens du terme -- du groupe de la Rose Blanche, sont ressentis comme autant de signes, par les autres, qu'une clandestinité est en place, et agit (ainsi Ulrich von Hassell, dans son journal de mars 1943).

C'est encore un grief qu'on fait à cette résistance, qu'elle n'agit pas, et que l'attentat du 21 juillet 1944 serait un acte isolé, baroud d'honneur ou acte de désespoir, autant dire opération suicide. C'est faux. Si Stauffenberg est rentré à Berlin au moment de l'attentat, au lieu de rester sur place en Prusse orientale, c'est qu'il vient épauler ses supérieurs hiérarchiques (Beck, Olbricht, etc.) qui sont censés avoir déclenché les opérations prévues dans le programme de coup d'état qui doit suivre l'attentat. Quand il arrive à Berlin, quatre heures après le coup, rien n'a été vraiment déclenché et jusqu'à onze heures du soir, où les hitlériens ont à nouveau la situation en main, il s'emploie à mettre en train ce programme: proclamations à la radio, mobilisation des unités blindés, arrestations des SS. Cela, partiellement, se fait: à Paris, notamment, où Carl-Heinrich von Stülpnagel, honni ici pour son action contre la Résistance française, sera exécuté après le 20 juillet pour sa participtation au complot contre Hitler.

Faux également de prétendre qu'il n'y avait pas d'alternative politique. C'est Goerdeler qui a fait pression sur Stauffenberg pour que l'attentat ait lieu le plus tôt possible, et si Stauffenberg a remis deux fois son geste, c'est qu'il attend d'abord, pour le faire, la présence simultanée, avec Adolf Hitler, de Heinrich Himmler et de Hermann Goering pour les liquider aussi en même temps. et c'est la logique de l'attentat que de donner lieu à cette alternative politique, seule capable d'offrir des interlocuteurs crédibles aux alliés pour obtenir l'arrêt de la guerre, la fin de la "course à l'abîme" et de la logique folle du dictateur et du parti nazi. L'attentat est second par rapport à cette nécessité. C'est justement Henning von Tresckov, le complice le plus proche de Stauffenberg, qui a dessiné cette logique; et c'est Goerdeler qui lui a expliqué dès 1942 que la défaite était inévitable, alors qu'il lui dessinait les perspectives victorieuses de la stratégie militaire. Et les premiers mots du dernier message à Stauffenberg ne sont pas les mots de l'héroïsme stoïcien qui concluent ce message en cas d'échec, mais: "l'attentat doit réussir coûte que coûte".

Pourquoi cette retenue de notre part devant l'attentat ? nous prolongeons la situation qui a fait dire à Stauffenberg dans le couloir où on le conduisait à la mort: "Ils m'ont tous laisser tomber", et, à Goerdeler, a dicté les termes de sa "prière". La version de Hitler a gagné: des ambitieux, des réactionnaires, une poignée d'officiers aristocrates. Il y a bien des raisons à cela, alléguées partout. Qu'on remarque d'abord ce que l'arrêt de la guerre, en juillet 1944, aurait signifié en décompte de pertes: l'économie de peut-être dix millions de morts, et de combien de destructions, en Allemagne, et sur le théâtre de l'occupation et de la guerre. Le coup d'arrêt aussi, ce qui aurait été capital, à la folie nazie, porté par l'Allemagne elle-même, et les criminels jugés par les Allemands.

Qu'on pense surtout: au regard de l'épopée de la victoire alliée (qui reste une épopée militaire), les conjurés du 20 juillet 1944 nous offrent -- quelle qu'aurait pu être la réussite de leur geste -- toutes les composantes d'une tragédie de l'Histoire. Ils sont des acteurs tragiques, non pas tant du fait du caractère sanglant de leur échec: tortures, exécutions sommaires, pendaisons, après des procès de personnages solitaires et écrasés et maudits par l'appareil de la haine, en l'honneur d'une cause pour laquelle ils allaient mourir, dans la défaite et l'échec, à quelques mois de la victoire de mai 1945. Mais cette victoire n'était pas leur victoire. Ils portent en eux, dans leur mort violente, le destin violent de l'Allemagne: le bombardement au phosphore de Dresde, les villes rasées, les Allemands expulsés des Sudètes, la terreur exercée par l'aviation alliée sur les populations civiles, en réponse à la terreur allemande des V1 et des V2 et aux rotomontades hitlériennes -- "moi vivant, pas une ville allemande ne sera touchée" --, les affres de la faim, du froid, les millions de morts, dessinent aussi un calvaire de l'Allemagne.

Et ils engagent une autre tragédie: le divorce de la morale et du spirituel avec la politique, du fait de tant de fausse morale et de religions monstrueuses qui ont dévoyé la politique jusqu'à l'inhumain. Dans ces oubliettes de l'Histoire, les conjurés du 20 juillet 1944 sont rejoints par tous ceux qui sont morts, contre les Allemands, dans la Résistance, pour des raisons du même ordre, et par les tenants d'une Résistance spirituelle qui auront voulu en France même, repenser le politique -- Georges Bernanos, Albert Camus, etc. -- recouverts, comme par l'herbe du champ des morts, par la politique sans pensée et notre Europe sans âme. Et nous sommes conduits à l'avaliser en reconnaissant que c'est peut-être le prix à payer pour l'expérience entre toutes inestimable, et chance de toutes les autres, qui est la paix. Mais, ainsi, nous entrons aussi peut-être dans une époque où l'on peut dire comme on l'a fait pour la liberté, sous la Révolution: "Paix, que de crimes on commet en ton nom !". Les exemples sont partout autour de nous. C'est un tragique pour lequel nous ne sommes pas armés. Ne sommes-nous faits que pour la guerre ou un sommeil momentanément paisible, généralement égoïste, champ libre et, peut-être un jour, proie pour quels mauvais rêves ou quels mauvais coups ?

Source : Cet article d'Antoine Raybaud a été publié dans le numéro 6 de La République des Lettres, spécial Allemagne, Paris, juillet 1994.

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