La République des LettresGuy Debord : Cette mauvaise réputation (éditions Gallimard)Guy Debord s'attache à montrer dans Cette mauvaise réputation de quelle façon "la critique que ce temps a pu destiner à le contredire" travaille à déformer ses oeuvres et à publier des informations fausses sur sa vie. Dans cet esprit, il s'est limité aux "plus étourdissantes séries d'exemples évoqués dans les propos des médiatiques de son pays, durant les années 1988 à 1992". Les exemples de déformation recensés par Debord peuvent être regroupés endeux catégories distinctes: dans la première, les articles écrits sur lui dans les différents médias (Globe, Le Monde, L'événement du Jeudi, Art Press, Actuel, Libération, Le Quotidien de Paris, La Croix, L'Humanité, LePoint, L'Idiot international, etc.): ces articles ont encommun d'être tous délibérément mensongers, comme si leurs auteurs s'ingéniaient à ne pas comprendre ce qu'ils lisent, ou à en rendre compte de façon malhonnête. Dans la seconde catégorie,moins importante en nombre de pages, figurent des textes, une brochure et un livre qui ont comme singularité de provenir non pas des réseaux médiatiques cités plus haut,mais des milieux radicaux (la brochure Echecs situationniste, les revues Les mauvais jours finiront, L'Encyclopédie des nuisances, Maintenant le communisme, le livre L'Anti-terrorisme en France de Serge Quadruppani). Visiblement Debord est plus à l'aise pour réduire à néant les inepties (prévisibles) de Globe, d'Actuel ou de L'Idiot international que pour répondre aux critiques qui lui viennent du milieu radical. S'il puise sans effort dans ses réserves d'humour et de distance pour ridiculiser sans appel les Grandes Têtes Molles de notre époque, c'est un Debord stressé, sec, sans voix et dépourvu decapacité de réplique que l'on rencontre plus loin. Plus grave, ces critiques reprises des milieux radicaux sontvolontairement mises par Debord sur le même plan que les déformations produites par les médias (un recueil des"plus étourdissantes séries d'exemples évoqués dans les propos médiatiques de son pays" - c'est moi qui souligne), avec une évidente intention de nuire. Debord accepte que l'aventure situationniste soit déformée en bloc par les médias en raison de ce qu'elle a été, cela fait d'une certaine manière partie du jeu, mais il n'accepte pas qu'elle soit critiquée ni ses acquis remis en cause. Debord a été jusqu'ici trop patient et trop bon, il ne veut plus être blâmé. Deux revues issues du milieu néo-situ tentent une critique de L'Internationale situationniste, et inévitablement de Guy Debord. La première, Les mauvais jours finiront, essaie de l'extérieur, et avance des arguments qui méritent attention, mais face auxquels Debord n'a rien à répondre. Il se contente de citer (pour ses archives publiques?) les passages qui le concernent sans les commenter. Les présenter comme des "propos médiatiques", est en fait sa seule réplique. Il ne veut plus être critiqué, ou alors seulement par les bouffons médiatiques qui sont, il le sait bien pour en avoir fait la théorie, neutraliséspar leur fonction même. La seconde revue, L'Encyclopédie des Nuisances, tente une critique de l'intérieur. Dans son numéro 15 (1992), elle fait un bilan critique des années situationnistes, qui ont été -- pour l'ancien situationniste Sébastiani c'est évident, pour Jaime Semprun, auteur en 1974 de La guerre sociale au Portugal chez Champs Libres, on le devine -- aussi les années des animateurs de la revue. Bien que les "encyclopédistes" ménagent Debord et pèsent soigneusement leurs mots quand ils le critiquent: "génie personnel de Debord", "aventure intellectuelle brillamment menée", Debord les malmène sans ménagement. Il ne veut plus être blâmé. Il se contente d'un laborieux et très insuffisant "J'étais comme j'étais et rien de très différent ne pouvait en venir" , qui lui évite de s'expliquer davantage. Etant comme il était,il n'a pu faire que ce qu'il devait faire, et par conséquent il n'a pu se tromper ni faire d'erreur. Puisqu'il le dit. Pour clore tout débat avec cette indélicate Encyclopédie qui veut comprendre pourquoi la théorie situationniste en estarrivée là sachant ce qu'elle était à l'origine, il lâche mystérieusement et sèchement qu'il y aurait eu un "désinformateur" au sein de cette revue. Ce qui dispense évidemment d'accorder du crédit à ce qu'elle peut dire sur lui-même et sur ce qu'il a fait. De toute façon, comme la précédente revue, L'Encyclopédie des Nuisances n'est que "propos médiatiques". > Journal > Guy Debord > Guy Debord : Cette mauvaise réputation (éditions Gallimard) > Livres : Guy Debord en librairie.
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