Fichier Edvige

Fichier Edvige

Dénoncé par de nombreuses associations et partis politiques, le récent mais déjà célèbre Fichier Edvige (acronyme de "Exploitation Documentaire et Valorisation de l'Information Générale") mis en place par Nicolas Sarkozy et Michèle Alliot-Marie, est désormais visé par plusieurs recours devant le Conseil d'Etat.

Créé par décret du Ministère de l'Intérieur le 27 juin dernier, Edvige est un fichier informatique destiné à rasssembler un maximum d'informations sur les citoyens français pour le compte de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI), le nouveau service de renseignement policier née de la fusion des Renseignements Généraux (RG) et de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST). Selon le décret publié au Journal Officiel du 1er juillet 2008, Edvige, géré par la Sous-Direction de l'Information Générale (SDIG, rattachée à la Direction Centrale de la Sécurité Publique), collecte des informations sur toute "personne physique ou morale ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif", ainsi que sur toute organisation et toute personne à partir de 13 ans "susceptibles de porter atteinte à l'ordre public".

De quoi ficher large au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme mais aussi de quoi inquiéter un peu tout le monde dans la mesure où on ne voit plus guère qui peut y échapper, qu'il soit responsable associatif, militant politique, prêtre, journaliste, blogueur, syndicaliste, conseiller municipal, gérant d'entreprise, gosse de banlieue, mauvais élève ou simple manifestant "susceptible de". Cette opération de fichage généralisé de la population, ancien fantasme de l'ex-Ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, ne fait pas non plus dans la dentelle sur la nature exacte des données à caractère personnel recueillies: photographie, état-civil, profession, coordonnées complètes (adresses postale et e-mail, téléphone, immatriculation des véhicules, etc), origine raciale ou ethnique, signes physiques particuliers, opinions philosophiques, politiques ou religieuses, dossier fiscal (compte bancaire, revenus, patrimoine, etc), dossier médical, orientation sexuelle, appartenance syndicale, antécédents judiciaires (y compris les simples infractions), déplacements à l'étranger et même comportement social et carnet d'adresse des amis et relations. Tout cela enregistré sans vous demander votre avis, recoupé, mis en traitement automatisé et conservé sans limite de durée dans les ordinateurs d'un Ministère de l'Intérieur qui, avec ses nombreux autres récents programmes "sécuritaires" — généralisation de la vidéosurveillance dans les villes et les transports, multiplication et interconnexion des fichiers comme entre autres le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG), le Système de Traitement des Infractions Constatées (STIC), le système Judiciaire de Documentation et d'Exploitation (JUDEX), la Centralisation du Renseignement Intérieur pour la Sécurité du Territoire et les Intérêts Nationaux (CRISTINA), etc... — ressemble plus au "Big Brother" décrit par George Orwell dans 1984 qu'à l'administration d'une démocratie soucieuse des libertés individuelles et des droits de l'homme.

Plus de 700 organisations et associations politiques, syndicales ou associatives-- des Paralysés de France (APF) à celle de lutte contre le Sida (AIDES) en passant par la Fédération des Conseils de Parents d'Élèves (FCPE), l'Union Nationale des Associations Familiales (UNAF), la fédération écologiste France Nature Environnement (FNE), le MODEM de François Bayrou, le PS, le PCF, la LCR, la CFDT, la CGT, FO, la FSU, le Syndicat des Avocats de France, L'Union syndicale des magistrats (USM), le Syndicat de la Magistrature, Amnesty International,... — se sont mobilisées cet été contre la mise en place du fichier Edvige et une pétition lancée début juillet par le collectif "Non à Edvige !" (nonaedvige.ras.eu.org) recueille à ce jour quelque 95.000 signatures. La Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL), saisie du dossier, a également émis de sérieuses réserves, qui n'ont toutefois pas été écoutées par le gouvernement. Un recours devant le Conseil d'Etat, la plus haute juridiction administrative en France, a été déposé par un collectif associé à la Ligue des Droits de l'Homme (LDH) afin d'obtenir le retrait pur et simple de ce fichier aussi tentaculaire que liberticide. La LDH dénonce plus globalement une "société de surveillance généralisée" et le "plan Orwell" d'un gouvernement où "le contrôle social tient lieu de politique sociale".

Copyright © Alain Joaquim / La République des Lettres, Paris, mercredi 03 septembre 2008. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite. Les citations brèves et les liens vers cette page sont autorisés.

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