Maurice Pialat

Maurice Pialat

Maurice Pialat, né à Cunlhat (Puy-de-Dôme) le 31 août 1925, arrive tard au cinéma. Dans les années '60, il s'intéresse au théâtre, devient assitant au cinéma et à la télévision, mais il est déjà plus âgé que la plupart des réalisateurs de la Nouvelle Vague en raison d'une quinzaine d'années difficiles consacrées à la peinture. D'abord tenté par l'architecture il suit, de 1942 à 1947, les cours des Arts Décoratifs et des Beaux-Arts puis, pour gagner sa vie, il travaille comme Visiteur médical et comme représentant de commerce pour les machines Olivetti et les shampoings Volpi. En 1955, il joue dans quelques pièces de théâtre (Jules César, Les Albigeois, Marie Stuart) mais ne poursuivra guère dans ce registre, se contentant par la suite de quelques petits rôles au cinéma chez Claude Chabrol (Que la bête meurt, 1969) et Jean Eustache (Mes petites amoureuses, 1974).

Même si François Truffaut lui donne un sérieux coup de pouce en coproduisant avec Claude Berri son premier long-métrage, L'Enfance Nue (1969), qui remporte le prix Jean Vigo, Maurice Pialat reste et restera toujours à l'écart du groupe de cinéastes. Il est plus amer et plus radical dans sa vision du cinéma et de l'amour, et reproche à ses cadets d'avoir été récupérés par le système. Il suffit de l'écouter parler de sa propre enfance pour comprendre:

"- Maurice Pialat: J'ai gardé la voix de mon père sur une cassette, c'est autre chose... Mais j'ai quelques images de films de mes parents. Si je les projette ça me laisse froid. Tandis que si je repense à eux, là il y a une émotion, évidemment de moins en moins, le temps tue tous les jours. L'oubli c'est la vraie mort... Il n'y a pas d'émotion au cinéma.

- Cyril Collard (assistant et acteur dans A nos Amours puis réalisateur de Les Nuits Fauves en 1992): C'est ta froideur à toi. Tu es très particulier pour ça.

- Maurice Pialat: Je suis sur la sellette... Il y a dû y avoir une cassure dans ma vie. Avant, j'étais tout le contraire de ça, une véritable fontaine. Après, j'ai continué à m'apitoyer sur moi et à chialer, pour des histoires en général de gonzesses, parce que j'étais très malheureux... Et puis, un jour est venu, c'était la froideur complète, apparente en tout cas.

- Cyril Collard: Depuis quand ?

- Maurice Pialat: Ca dépend si tu inclues les histoires de femmes, dont la dernière me touche encore... Je crois que quand j'ai arrêté de peindre, ça a été un choc terrible dans ma vie. Je suis resté deux ans dans un état de léthargie complète. Et c'est là qu'a vraiment commencé la paresse, parce qu'avant il n'y avait que mon père pour me traiter de paresseux."

Maurice Pialat a partagé sa vie pendant vingt ans avec Micheline, épousée en 1949 -- après leur séparation, celle-ci gérera leur société de production, Les Films du Livradois -- mais il restera jusqu'au bout un solitaire acerbe, pour qui toute histoire de couple est foncièrement sordide. En 1960, il quitte Micheline pour Colette qui l'accompagne en Turquie pour la réalisation de documentaires. En 1966, elle le quitte. Il écrit alors un livre puis un film autobiographique noir et magnifique, Nous ne vieillirons pas ensemble, avec Marlène Jobert et Jean Yanne. En 1969, il a une liaison avec Arlette Langmann, de vingt ans sa cadette, soeur de Claude Berri, avec laquelle il écrit L'enfance nue puis plus tard Loulou. Elle sera la monteuse de tous ses films. Nouvelle rupture. Ses dernières années furent celles d'un silence rageur après le dernier film, Le Garçu, où son propre enfant, Antoine, habite toute l'image entre des parents déchirés.

L'ombre familière, réalisé en 1958, est le premier court-métrage professionnel de Maurice Pialat. L'amour existe est le second. Produit par Pierre Braunberger, producteur émérite de La Nouvelle Vague (on lui doit des films de Jean-Luc Godard, Jean Rouch, Alain Resnais, François Truffaut, Jacques Rivette, etc..), il sera récompensé par le Prix Louis Lumière et le Lion d'Or de la Biennale de Venise 1961.

"Si le scénario-programme organise des péripéties en une structure prête à être tournée, le scénario-dispositif est ouvert aux aléas du tournage, aux rencontres, aux idées de l'auteur surgissant dans l'ici et le maintenant (...) Il est évident que l'idéal de la Nouvelle Vague, c'est le scénario-dispositif, que Godard va amplifier au fur et à mesure que sa carrière se développe et qui règne en maître dans la démarche esthétique de Jean Rouch et de Jacques Rozier" écrit Michel Marie dans son ouvrage La Nouvelle Vague (éditions Nathan Université, 97). Maurice Pialat, lui, oscille entre le scénario-programme et le scénario-dispositif, ainsi que le firent François Truffaut ou Claude Chabrol quelques années plus tôt. Avec le temps, de façon atypique, obtenant des aides pour des scénarios mais les utilisant souvent pour d'autres films, Maurice Pialat parvint à mettre en place un troisième procédé : "Le scénario par défaut qui fait mouche". En père du "cinéma-vérité", il annonce une nouvelle modulation du récit, proche des histoires de Marcel Pagnol, dont en plus des initiales il partage la vision du drame, dans la lignée de Jean Renoir. Se reconnaissant dans son langage brut, certains cinéastes se mettent à créer avec la même rudesse et la même franchise apparentes qui leur fait porter la caméra à l'épaule et travailler en équipe légère, désormais en numérique: ils se font observateurs et transcripteurs du désarroi de leur époque. Et, comme Maurice Pialat, qui misait principalement sur la direction d'acteurs (les séquences ne leur étant confiées qu'au dernier moment), aux dépens du découpage et de la lumière que, de toute façon, la vérité rattrape par une autre voie -- celle du regard sur la pathologie -- ils se libèrent des contraintes d'une très redoutée tranquillité-propreté.

L'enfance nue, le premier long métrage de Maurice Pialat, est interprété par des non-professionnels qui jouent leurs propres rôles. Le succès d'estime du film lui permet de tourner sept épisodes d'un feuilleton télévisé de qualité, La Maison des Bois, où il met en scène un enfant délaissé confié en 1914 à des forestiers. Suivent quatre puissants longs métrages où il peaufine son goût du plan-séquence traqueur des vulnérabilités humaines. Mais il vit des des années professionnelles cahotiques jusqu'en 1983. Au printemps 1984, François Truffaut, qui a été opéré d'une tumeur au cerveau et commence tout juste à retrouver quelque force, lui remet le César du meilleur film pour A Nos Amours. Que s'est-il donc passé pour que Maurice Pialat rencontre le public de façon si inattendue et inespérée ? La jeune comédienne Sandrine Bonnaire, quinze ans dans ce chef d'oeuvre, est une révélation, tant pour le cinéaste que pour le public. Mais la plus grande rencontre cinématographique de Maurice Pialat c'est sans doute Gérard Depardieu, qui sera sous sa caméra le loubard sensible de Loulou, le policier violent mais écorché de Police, le père gauche du Garçu et le fascinant abbé Donissan de Sous le soleil de Satan. Si ce dernier film, adpaté d'un roman de Bernanos, fut mal reçu, Van Gogh en revanche, avec Jacques Dutronc dans le rôle principal, valut à Maurice Pialat un nouveau grand succès public. Cependant la rancoeur l'emporta et, après Le Garçu, ce cinéaste de la passion étouffée cessa définitivement de filmer. Être de la souffrance et de la blessure, Maurice Pialat a maintenu l'image d'un artiste incompris jusqu'à sa mort, survenue le 11 janvier 2003 à Paris. Hostile face à un monde hostile, cinéaste du non-dit et du cri, éternel insatisfait, il nous reste l'image d'un cinéaste auteur d'une dizaine de chefs-d'oeuvre qui, recevant la Palme d'Or au Festival de Cannes 1987 pour Sous le soleil de Satan, fait face aux sifflets, le poing dressé, lançant au public: "Si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus".

Filmographie de Maurice Pialat :

L'amour existe (1961); Janine (1962); Jardins d'Arabie (1963); Pehlivan, Istanbul, Byzance, Maître Galip (documentaire, 1964); Chroniques de France (1965/66); L'enfance nue (1969); La Maison des Bois (Feuilleton TV, 1971); Nous ne vieillirons pas ensemble (1972); La Gueule ouverte (1973); Passe ton bac d'abord (1979); Loulou (1980); A nos amours (1983); Police (1985); Sous le soleil de Satan (1987); Van Gogh (1991); Le Garçu (1995).

Copyright © Michel Marx / republique-des-lettres.fr, Paris, lundi 8 août 2016. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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