Luis Bunuel

Luis Bunuel

"Massif, légèrement voûté, Luis Bunuel a quelque chose du taureau soudain ébloui par les lumières de l'arène. Sa légère surdité ajoute à l'impression de solitude inquiète que donne le personnage; mais légère est la barrière à franchir pour trouver l'homme; doux, calme, tendre, réservé, incapable constitutionnellement de la moindre hypocrisie", écrivait André Bazin dans un des premiers numéros des Cahiers du cinéma. Dans la même revue, en mai 2000, on lit un extrait du livre de souvenirs Memorias de una mujer sin piano, publié en 1990 par Jeanne Rucar que Luis Bunuel épousa en 1934 et dont il eut un fils: "Luis était jaloux, dominateur, et tendre aussi: il avait le sens de l'humour et il était gai (...) Réservé, jaloux de sa vie privée, qu'il n'évoquait même pas avec nous, sa femme et ses fils. Il s'enfermait pour lire dans son bureau. Il lisait énormément (...) Il ne me commentait pas ses lectures. Il ne voyageait que pour des raisons de travail -- il avait, comme moi, peur de l'avion. Avant de monter à bord, il buvait un Martini; il était casanier, lui aussi (...) J'ai l'impression qu'il était anti-tout: antifranquiste, antirépublicain, antimonarchiste, antidictature." On ne se lasserait pas de lire les mots qui racontent le quotidien de ce géant de l'histoire du cinéma, vues personnelles qui en disent parfois plus que les théories qui affluèrent sur le maître espagnol.

Luis Bunuel est né à Calanda (Aragon), le 22 février 1900. Il est l'aîné de sept enfants. Mère catholique, père libéral, famille aisée. Collège des jésuites à Saragosse, de huit à quinze ans, puis lycée laïc. à cette époque, il lit Darwin et perd la foi, mais il gardera tout au long de sa vie des amis prêtres ou religieux. A 17 ans, Luis Bunuel étudie à Madrid et soutient les dadaïstes. En 1923, son père meurt. Il passe un diplôme de philosophie puis monte à Paris en 1925. Luis Bunuel y devient secrétaire de l'écrivain philosophe Eugenio d'Ors, employé dans le cadre de la Société internationale de Coopération Intellectuelle. Il voit Les Trois Lumières, de Fritz Lang, qui déclenche son désir de cinéma. Il apprend la réalisation et la mise en scène en étant par deux fois l'assistant de Jean Epstein, dont il a suivi les cours, pour Mauprat et La chute de la Maison Usher, se faisant renvoyer du second pour insolence. il se rapproche ensuite d'Aragon, André Breton, Philippe Soupault, Man Ray, René Crevel... il reçoit les félicitations de Jean Cocteau qui le présente au vicomte de Noailles, futur financier de L'âge d'or.

Luis Bunuel, avare de paroles sur sa vie comme sur son oeuvre sera un cinéaste de l'instinct. Si Jacques Lacan, dans un de ses séminaires sur la paranoïa, tire une révérence à son film El, c'est parce que l'homme en proie à la fragilité de son mental fut la recherche de Luis Bunuel toute sa vie, qu'il soit en Amérique, en France ou Mexique (de nationalité espagnole il devint mexicain). L'homme et son incommunicabilité, l'homme Bunuel, et l'homme en ses personnages, éternellement transgressif, être de la division, tel le prémonitoire oeil coupé d'Un chien andalou. En 1973, il est nominé pour l'Oscar du meilleur film étranger avec Le charme discret de la bourgeoisie. Un journaliste lui demande: "M. Bunuel croyez-vous gagner le prix ?" Il répond: " Mais bien entendu ! J'ai déjà donné 50.000 dollars aux américains et je leur ai promis 50.000 autres dollars après réception du prix." Après avoir remporté l'Oscar, il déclare. "Voyez, les Américains ont bien des défauts mais ce sont des gens de parole !". Disait-il la vérité ou n'avait-il pas cessé d'être surréaliste ? Ou était-ce les deux ?

Luis Bunuel meurt (ou n'était-ce qu'une nouvelle et mauvaise blague ?), à Mexico, le 29 juillet 1983, à l'âge de 83 ans.

Étudiant à Madrid, Bunuel, âgé alors de 17 ans, rencontre Federico Garcia Lorca et Salvador Dali avec lequel il écrit le scénario d'Un Chien andalou, chef-d'oeuvre de l'avant-garde surréaliste qui voit une lune coupée en deux par un nuage comparée à un oeil également coupé en deux ainsi que les désormais célèbres livres-revolvers. En 1930 le mariage de Dali avec Gala éloigne le peintre et le cinéaste, alors que Luis Bunuel envisageait une nouvelle collaboration pour L'âge d'or, autre film clé du surréalisme. Allégorie psychanalytique huée par des fascistes -- une projection fera l'objet d'une agression de la Ligue anti-juive et de la Ligue des patriotes --, le film est rapidement interdit. L'interdiction ne sera officiellement levée que cinquante-deux ans plus tard, en 1982, un an avant la mort du cinéaste, pour une projection au Festival de Cannes et à la télévision française. L'âge d'or précède, comme un dernier soubresaut du surréalisme, le travail plus documentaire qu'est Terre sans pain, en 1932, sur la misère espagnole dans la région des Hurdes, film militant annonçant la guerre civile et interdit en Espagne. Entre 1933 et 1935, Luis Bunuel travaille pour des compagnies américaines et participe à Madrid 36, un documentaire pro-républicain, avant de partir aux Etats-Unis en mission offielle pour la République espagnole. Il rejoint en 1939 la Coordination des activités interaméricaines, service de propagande qui sensibilise les pays d'Amérique Latine aux dangers du nazisme. Il s'emploie à dénoncer le cinéma de propagande nazie, critiquant notamment le Triomphe de la volonté, tourné en 1934 par Leni Riefenstahl pendant le congrès du Parti National Socialiste à Nuremberg. En 1941, Luis Bunuel devient conseiller et chef monteur à l'unité documentaire du Musée espagnol d'Art Moderne qui vient d'être créé. Il se réclame du marxisme, ce que Dali n'hésite pas à lui reprocher. Il s'exile au Mexique. Oscar Dancigers, producteur mexicain, le relance: deux films commerciaux, Grand Casino en 1946 et Le grand noceur en 1949, lui donnent les moyens de tourner Los Olvidados en 1950, inspiré par le film Sciuscia (1946) de Vittorio De Sica, qui montrait des gamins des rues à Rome. Violemment critiqué au Mexique, où certains demandent même son expulsion, Luis Bunuel reçoit cependant au Festival de Cannes 1951 le Prix de la mise en scène et celui de la Critique internationale. Suivent ensuite deux autres chefs-d'oeuvre: El, en 1952, et La Vie criminelle d'Archibald de La Cruz en 1955. Nazarin, sommet de sa période mexicaine, sorti en 1958, montre de nouveau l'Espagne à travers un prêtre qui pleure et veut partager son existence avec des prostituées. Le film manque de peu le Prix de l'Office catholique du cinéma et devient un succès qui ouvre une période plus clémente pour le cinéaste.

Luis Bunuel reçoit le soutien de grands producteurs mexicains, espagnols et français qui lui permettent de rencontrer le public, même si le Vatican hurle au sacrilège avec Viridiana, tourné en Europe en 1961, qui reçoit la Palme d'or à Cannes mais est finalement interdit par Franco. Simon du désert est son dernier film mexicain. Luis Bunuel vient ensuite régulièrement tourner en France, avec Jean-Claude Carrière en scénariste attitré. La voie lactée, Belle de jour, Tristana (et sa triple fin qui nous fait douter de la réalité de l'histoire qui n'a peut-être été que rêvée par Tristana, magique Catherine Deneuve). Après Le charme discret de la bourgeoisie (oscar du meilleur film étranger) en 1972, Le fantôme de la liberté en 1974 et Cet obscur objet du désir en 1977 -- où le personnage principal féminin, l'objet, est joué par deux actrices différentes, Carole Bouquet et Angela Molina, représentantes de tout ce que ses films cristallisèrent autour du thème de l'obsession -- Luis Bunuel cesse de tourner.

Note : Bunuel a noté dans un carnet la vingtaine de rêves qui ont régulièrement hanté ses nuits. Ils ont sans aucun nourri cette "pulsion du négatif" (terme d'Alain Bergala) qui fait le fond et la forme de toute son oeuvre.

Filmographie de Luis Bunuel: 1929: Un chien andalou; 1930: L'âge d'or; 1933: Terre sans pain; 1937: Espagne 37; 1946: Grand Casino; 1949: Le grand noceur; 1950: Los olvidados, Susana la perverse; 1951: Don Quentin l'amer, Pierre et Jean, La Montée au ciel; 1952: L'enjôleuse, Robinson Crusoé, El; 1953: Les Hauts de Hurlevent, On a volé un tram; 1954: Le fleuve de la mort; 1955: La vie criminelle d'Archibald de la Cruz, Cela s'appelle l'aurore; 1956: La mort en ce jardin; 1958: Nazarin; 1959: La fièvre monte à El Pao; 1960: La jeune fille; 1961: Viridiana; 1962: L'ange exterminateur; 1963: Le journal d'une femme de chambre; 1964: Simon du désert; 1966: Belle de jour; 1968: La voie lactée; 1969: Tristana; 1972: Le charme discret de la bourgeoisie; 1974: Le fantôme de la liberté; 1977: Cet obscur objet du désir.

Copyright © Michel Marx / republique-des-lettres.fr, Paris, lundi 8 août 2016. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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